« C'est ton premier retour aux États-Unis ? Tu verras, ça va être fabuleux ! » m'avait annoncé avec les yeux qui brillent un ami, lui-même tout juste de retour d'un de ses nombreux voyages en Californie depuis le séjour post-doctoral qu'il y a passé.
Il avait, bien évidemment, entièrement raison.
Je suis retournée en Californie, où j'ai goûté le plaisir de me balader sur mon campus plutôt que de courir d'un point à l'autre et de me sentir plus détendue que dans aucun de mes plus récents souvenirs de là-bas.
Le bananier du centre commercial juste en face de l'université.
J'ai renoué avec les traditions : déjeuner au pub du vendredi, suivi d'un medium coffee of the day au coffee shop juste derrière le département d'informatique et d'une après-midi de boulot ; barbecue avec le labo, avec ses burgers de bison, la tarte faite par un des thésards, et sa partie de bocce ; sortie tango le mercredi soir, et Lindy le vendredi, à laisser mes cavaliers me rappeler ce qui exactement me manque tant dans le fait de ne plus danser.
Moonmad, Max Ernst, Hirshhorn Museum, Washington D.C.
Les choses ont bien évidemment changé ; de nombreux amis ont déménagé, d'autres ont des enfants nés au moment de mon départ, certains célibataires avérés sont maintenant en couple (dont les amis qui se sont rencontrés à ma soirée d'adieu). Mais la ville elle-même est immuable ; un nouveau restaurant a remplacé le loueur de vidéos et c'est à peu près tout.
New York, NY
J'ai aussi revu Boston, où j'ai retrouvé Chef et une amie rencontrée en Allemagne ; Chicago, où je me suis baladée avec la même amie qui m'avait fait découvrir Millenium Park lors de ma première visite ; Washington D.C., où j'ai maintenant deux couples d'amis qui habitent ; et New York, avec un ancien thésard du labo où j'ai fait mon master recherche, tout un groupe fraîchement déménagé de mon campus allemand, et le type qui m'invitait, rencontré en décembre en Espagne.
Boston, MA
J'ai passé du temps avec des gens que je n'avais pas vus, pour la plupart, depuis un an et demi, mais qui connaissent encore suffisamment mes goûts pour me recommander une bière, se souviennent que je ne suis pas une grande fan de sushi, savent comment je prends mon café, et me font écouter des trucs qu'ils savent que je vais aimer.
J'ai donné quatre exposé, rencontré une dizaine de collaborateurs potentiels, bossé depuis le moindre coin de bureau, traversé neuf aéroports différents.
The Bean, Chicago, IL
J'ai parlé anglais quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, j'ai apprécié de ne pas avoir à me creuser la tête à chaque interaction avec une caissière, une vendeuse, une serveuse, ou une voisine d'avion, j'ai souri en entendant certains accents, en retrouvant certaines expressions, j'ai réintégré like, awesome et for sure à mon vocabulaire. J'ai repris de vieilles habitudes, payer en dollars, me souvenir qu'une taxe sera ajoutée au prix affiché, demander un doggy bag (enfin, une boîte, quoi), penser à l'heure qu'il est en Europe, écouter NPR, faire semblant de m'intéresser au basket, me tartiner de crème solaire comme à l'époque où c'était une rubrique à part entière dans mon budget (j'ai quand même cramé, et quand même eu de l'eczéma). J'ai déambulé dans les rayons de Trader's Joe en me souvenant du goût qu'avaient les produits de nouveau sous mon nez, j'ai fait le plein de restos mexicains, de yaourts glacés et d'India Pale Ales, j'ai pointé du doigt les colibris et les écureuils, j'ai pris des photos des palmiers, des eucalyptus et des bougainvillées.
Aux Stazunis, même les écureuils se nourrissent de frites
J'ai ri aux éclats, serré des tas de gens chouettes dans mes bras, dansé, donné à fond dans l'enthousiasme californien et l'abus de points d'exclamation, posé devant le Picasso au coin de Washington et Dearborn.
The Picasso, Chicago, IL
Je ne me suis pas mise en colère quand j'ai vu ce que le système éducatif devenait en Californie, quand l'université que je visitais dans l'Indiana a fait la Une des journaux pour le procès qu'elle fait à l'État qui la force à inclure la pilule dans la couverture santé qu'elle propose à ses employés, quand un type gueulait que seul Jésus pouvait laver nos péchés, quand on m'a dit que 25 jours de congés par an, c'est quand même largement trop. Je n'ai même pas passé par la fenêtre de la voiture l'amie de mes amis après qu'elle ait déclaré que les impôts, dans ce pays, c'est du viol. J'ai dit à mes anciens collègues un truc qu'ils n'avaient jamais entendu, que je préférais avoir un poste moyen dans une université médiocre à un super poste dans une des meilleures universités si ça voulait dire que j'aurais aussi le temps d'avoir une vie personnelle.
Plage sur les bords du Lac Michigan, MI
C'était fabuleux. Ce pays me manque, beaucoup, et pourtant quand un chercheur d'un des plus prestigieux institut de recherche New-Yorkais, un de ceux qui ont accès à des données qui me font baver, m'a demandé si je considérerais un poste dans son département, je n'ai pas hésité une seule seconde avant de lui répondre : « non, je reste en Europe ».