Le Cadal
Y a des jours, comme ça, ou tu te dis que la vie est une pute.
Pas aujourd'hui, non, aujourd'hui, c'est samedi, j'ai fait la grasse matinée, souhaité bon anniversaire à mon papa, parlé au téléphone avec le Blondinet échoué dans un aéroport après avoir évité de tomber dans l'Atlantique, il fait beau mais pas déraisonnablement chaud, et ce soir je vais même prétendre avoir une vie sociale et rejoindre un groupe de plusieurs personnes à la fois.
Aujourd'hui, la vie, elle est cool.
Mais bon, pas toujours.
Y a des jours, comme ça, où il y a dans ton sang tellement de petites molécules amoureusement façonnées par B*yer et consorts et administrées de façons diverses et parfois hautes en couleur (tu verrais la gueule de cette aiguille, toi aussi tu aurais envie de te rouler en boule dans un coin et de pleurer) que tu as perdu le compte.
Des jours où l'aiguille, là, elle a fait tellement mal que tu vendrais ta grand-mère pour une piqûre de morphine, ou d'héroïne, enfin, un opiacé, quoi, si tu n'étais pas si occupée à essayer de garder ton petit-déjeuner dans ton estomac tout en te demandant comment on peut à la fois être nauséeuse de douleur et ressentir quand même les effets secondaires du médicament qui te donne la dalle du siècle.
Des jours où t'en peux plus d'être assise à ton bureau à te pincer les joues pour avoir l'air un peu moins livide et à faire semblant d'aller bien quand quelqu'un passe te poser une question, parce qu'il est hors de question que tu parles de ces choses-là avec tes collègues, alors qu'en fait, à chaque fois que tu bouges, toutes tes synapses se concertent pour ne transmettre qu'un seul message à ton cerveau liquéfié : « Aïeuh ».
Des jours où en plus de ça y a une boule au fond de ta gorge parce qu'on t'a trouvé un truc de plus qui va pas dans ton corps dysfonctionnel. Un truc qui, d'accord, explique peut-être en partie pourquoi le reste coince, mais un truc de plus auquel s'attaquer quotidiennement.
Des jours où franchement, le premier qui vient t'emmerder, tu trouveras bien trois neurones suffisamment costauds pour le remettre à sa place dans les formes. Et sinon, y a un manuel de chimie organique sur ton bureau qui doit être plutôt efficace comme objet contondant. D'ailleurs, même les gens sympa, t'as envie de les envoyer bouler pour qu'ils te foutent la paix.
Des jours où, par voie de conséquence, il ne fait pas nécessairement bon atterrir dans ta boîte mail. Des jours où tu as la pression sur la touche Delete facile. Et le juron, aussi.
Tout ça pour te dire que quand j'ai reçu un e-mail d'une lecteuse d'AmRhaps qui venait d'ajouter deux et deux et de trouver que j'étais thésarde et âgée de vingt-deux ans, j'ai failli répondre illico presto que la F.A.Q, c'est pas parce que c'est pas pour les chiens que les dalmatiens peuvent pas cliquer dessus. Mais vu que le i-maille, il était long, j'ai continué. Et la punkette, qui est futée, elle l'avait lue, la foire aux questions. Et même qu'au lieu de me prendre pour une mythomane ou s'écrier « Sky, un génie ! », elle a réagi comme une personne qui sait, et elle m'a fait un dessin.
À moi ! Un dessin !
Et pas n'importe quel dessin. Un dalmatien.
Je sais pas si tu vois l'honneur.
Mais toujours est-il que j'ai souri.
Du coup je te présente l'affaire. Ça s'appelle The Brain. Il ne nous manque plus que Pinky[1].