J'ai ainsi appris que je n'aurai pas le loisir de me promener dans Mea Shearim, le quartier ultra-orthodoxe, car les femmes s'y doivent d'être vêtues correctement selon les principes, donc, ultra-orthodoxe, c'est-à-dire en jupe longue, manches longues et col montant (ou col ras-du-cou avec un foulard), or je n'ai que des jupes courtes ou des pantalons. Il ne faudra pas, me dit le guide, être surprise si les hommes se cachent néanmoins les yeux en vous voyant. C'est si touchant ! Eh ben on va s'estimer heureuse de ne pas se faire raser la tête et emperruquer à l'entrée alors... Je veux bien être respectueuse des us et coutumes des autres, avoir les épaules et les genoux couverts en entrant dans une église, me déchausser dans une maison musulmane ou me couvrir la tête d'un foulard à l'entrée de la syna, ne pas prendre de photos de lieux de culte, mais la distinction entre « coutume que je peux respecter » et « grossière intolérance » est plus floue que je ne le croyais.

Côté touristique, je suis à peu près parée. Il me restait donc à me renseigner sur le chabbat, que je ne connais que d'assez loin, bien qu'on m'ait juré que j'y aie déjà plus ou moins participé chez mon arrière-grand-mère quand j'étais petite, ce dont je ne me souviens absolument pas (je me souviens de Pourim, par contre). Tout ce que je sais c'est que jamais mes grands-parents ni mon père ne sont restés dormir chez ma mamé un vendredi soir et qu'il nous a bien fallu rentrer en voiture chez mes grands-parents après les festivités, ce qui me parait être une rupture de chabbat caractérisée. (A moins de n'avoir pris un taxi non juif sans le payer le jour même, ce qui me semble hautement improbable.)

Bref, j'avais vaguement l'impression qu'en théorie tout ce qu'on pouvait faire était de s'asseoir sur une chaise dans le noir en attendant la sortie de chabbat, et que chacun s'arrangeait plus ou moins à sa guise ; je sais que quand mes parents étaient enfants au Maroc, le chabbat se caractérisait par magasins fermés, nourriture préparée à l'avance, pas de déplacements et activité fort réduite, mais les détails ont dû complètement leur échapper. (Par ailleurs, que veux-tu qu'ils remarquent qu'on ne se téléphonait pas alors que le seul des deux familles à avoir un téléphone était le grand-père de mon père ?)

Manifestement, le chabbat se prend beaucoup plus à la lettre que je ne l'imaginais. J'ai ainsi découvert une mine de renseignements en l'espèce d'un forum où des rabbins répondent aux questions que les fidèles se posent. Je n'ai pas encore exploré la catégorie de la cacheroute qui recèle probablement de perles de sagesse et me suis concentrée sur les questions relatives au chabbat. Je vous recommande de parcourir le site vous-même, mais ne peux résister à partager les révélations qui m'ont le plus... ahurie.

Posons tout d'abord quelques bases (hâtives et grossières, on me pardonnera) : le chabbat, qui dure du coucher du soleil du vendredi soir à l'apparition de trois étoiles dans le ciel du samedi soir, a pour but de permettre aux fidèles de communier avec leur Dieu. Afin d'atteindre ce but, on respectera une liste de trente-neuf interdits (et de leurs équivalents dans le monde moderne) et d'obligations (de se réjouir en famille, d'accorder l'hospitalité à ses hôtes, etc ; les rapports sexuels entre époux consentants sont même recommandés, dans un but de procréation, évidemment).

Comme les goys n'ont pas le droit de communier avec Dieu, ils n'ont pas le droit de faire chabbat, et se devront de briser au moins un des interdits. (Je te jure. Va savoir ce qui leur arrive sinon... en tout cas c'est une pratique à respecter quand on cherche à se convertir, parait-il, probablement dans le directe lignée du non-prosélytisme juif, qui sème le chemin de la conversion d'embûches plus rigolotes les unes que les autres. Je rappelle qu'on ne rigole pas avec la religion et qu'on ne joue pas avec la nourriture.)

Il est possible de rompre le chabbat si une vie humaine est en danger. Les chiens, eux, peuvent crever. Les médecins devront s'abstenir de tout acte, écriture incluse, qui n'est pas strictement indispensable dans l'instant ; ils peuvent néanmoins utiliser de l'encre presque invisible (pour des raisons qui m'échappent totalement).

Il est interdit de tricher, mais pas trop ; par exemple, il est possible de profiter du geste d'un goy qui ouvre une porte, mais pas de lui demander de faire ce geste uniquement pour vous. Les ascenseurs dits de chabbat qui s'arrêtent automatiquement à tous les étages sans qu'on ne pousse de bouton peuvent être empruntés, et j'ai fini par comprendre pourquoi les minuteurs électriques se vendaient comme des petits pains chez tous les marchands de la ville : c'est pour ne pas éteindre ou allumer la lumière soi-même pendant le chabbat ! Les avis, d'ailleurs, varient sur la raison pour laquelle on ne peut appuyer sur un interrupteur ; est-ce parce qu'il est interdit de construire / détruire, ne serait-ce que de la lumière, ou plutôt car l'incandescence des ampoules / les étincelles de courant sont assimilables au feu qu'il est interdit d'allumer ou d'éteindre ?

J'ai été fascinée par la question de l'accouchement : comment se rendre à l'hôpital ou en revenir quand on ne peut ni conduire ni porter une valise ni payer un taxi ni appeler un taxi ? Comment prévenir la mère de l'accouchée sans lui téléphoner (facile : en passant chabbat avec elle) ?

Comme il est interdit de porter quoi que ce soit d'autres que ses vêtements en public (interdiction dite de transporter), que faire de son mouchoir si on est enrhumé ? Il est recommandé de faire en sorte que, comme les clés, il fasse partie intégrante de sa ceinture ; si cela n'est pas possible, on peut toutefois le ranger dans sa manche ou sous son couvre-chef, en toute simplicité.

Etc, etc, etc. ad libitum.

En vous recommandant une dernière fois de vous cultiver sur ce passionnant sujet, je conclus sur ces sages paroles de John Goodman dans The Big Lebovski :

Saturday, Donny, is Shabbos, the Jewish day of rest. That means that I don't work, I don't get in a car, I don't fucking ride in a car, I don't pick up the phone, I don't turn on the oven, and I sure as shit DON'T FUCKING ROLL!

Samedi, Donny, est le shabbos, le jour de repos des Juifs. Ça veut dire que je ne travaille pas, je ne conduis pas, je ne monte même pas dans une putain de voiture, je ne réponds pas au téléphone, je n'allume pas le four, et tu peux parier que JE NE JOUE CERTAINEMENT PAS AU BOWLING!