Tout d'abord, dans une visite guidée en groupe, il y a un groupe. Il y a une malédiction qui veut que s'il ne soit pas certain que tu trouves dans le groupe des gens dont tu te feras des amis, tu peux mettre ta main à couper qu'il y en aura que tu détesteras d'une haine inextinguible que tu n'as pas ressentie depuis la dernière fois que tu as allumé la télévision et que quelqu'un parlait de Rush Limbaugh ou de Pat Buchanan.

Cette fois ça n'a pas raté, le tour était guidé en français et en anglais, et c'est tombé sur les français. J'aurais dû m'accrocher dès le départ aux deux Américaines sympathiques que j'avais rencontré, mais non, il a fallu que je fasse mon indépendante et que la famille en question, la mère, le fils et la fille, s'installent juste derrière moi pour le trajet de Césarée à Saint-Jean-d'Acre. Un long, très long trajet. Dans la dernière partie de cette demi-heure qui n'en finissait pas de s'éterniser, je fantasmais de les passer sous les roues de tous les poids lourds qu'on croisait. Pourtant, ils n'étaient pas méchants ; pourtant, ils ne m'adressaient même pas la parole ; c'est juste que leur conversation me pompait tout mon oxygène et mes réserves de patience.

« Conversation » est un bien grand mot, d'ailleurs ; puisqu'il s'agissait essentiellement d'un monologue de la mère, la fille n'ayant que rarement l'occasion d'en placer une et le fils s'en tenant respectueusement à répéter les propos de l'une ou de l'autre en les agrémentant de « ah ben oui » et autres « c'est clair, c'est clair » qui m'ont tout d'abord fait croire qu'il avait dans les treize ans pour démontrer un tel esprit ciritique. Il s'est avéré qu'il en avait 18, venait d'avoir son bac, et s'apprêtait à commencer un BTS commercial sous la direction manifeste de sa maman qui, je cite, avait réfléchi le matin même et pensait que ce serait bien, après le BTS, de faire une formation supplémentaire dans un autre domaine, comme la viticulture ou l'agriculture, pour devenir un bon vendeur dans ledit domaine. Un « Ah ben oui, c'est clair, c'est clair » plus tard, un plan de carrière venait de naître. Écrasons une larme sur l'autel de... euh... bon écrasons une larme quoi.

Et je peux vous garantir que c'est pas gagné, l'agriculture, car aucun des membres de ladite famille ne fut foutu de reconnaitre que ce que les gens faisaient dans le champ au bord de la route, c'était de ramasser des melons. (Tu sais, les gros trucs sphériques et clairs qui poussent au ras du sol ? Voiiiilà.)

Enfin le plus épuisant, c'était quand même leur capacité à user un sujet de conversation, aussi badin soit-il, jusqu'à la corde. Et user un peu de corde avec pour faire bonne mesure. Exemple (on arrive près d'un kibboutz et de l'exploitation agricole qui va avec, donc) :

« — Oh, c'est verdoyant par ici ! »
« — Oui, c'est beaucoup moins sec, tout de suite »
« — Ah ben oui, c'est clair, c'est verdoyant »
« — C'est irrigué, remarque »
« — Ah ben oui, parce que ce serait sec, sinon »
« — Alors que là, tu vois, c'est verdoyant »
« — C'est clair, c'est clair, c'est verdoyant »

Ad nauseam. Pendant une demi-heure. Sur la verdoyance. Et la sècheresse. Et la spécialisation en viticulture, parce que le vin, même en période de crise ça continue à vendre. (La Kro aussi, d'ailleurs, même plus, je pense, mais ça ils n'y ont pas pensé.) Et les oliviers sur le bord de la route (ça au moins ils ont reconnu, note). Et sur comment c'est bien dans les pays chauds de travailler tôt le matin puis re en fin d'après-midi et de faire la sieste au milieu.

Bon. Ça, c'était le groupe. Mais après y avait encore le guide. Là encore, il y a une règle universelle qui dit que le guide doit te raconter des anecdotes comme quoi y a des trucs vachement importants qui ont été inventés dans son pays. Le pauvre ne pouvait pas nous faire le coup de la pièce de monnaie, qui a été inventée en Égypte quand tu visites Louxor et en Turquie quand tu visite Istamboul, la pièce de monnaie est très accommodante, mais la pièce de monnaie n'est pas une catin (et il me semble qu'elle a été inventée par les Grecs d'Asie Mineure, donnant ainsi raison au guide turc plus qu'au guide égyptien).

Bref, Israël n'a pas inventé la pièce de monnaie, mais Israël a inventé l'industrie bancaire, à Saint-Jean-d'Acre soi-même, d'ailleurs c'est tous ces Italiens c'est pour ça que les termes viennent de l'italien (et non pas du latin, naïve petite chose que tu es !). « Et regardez, nous dit-il, sur la pièce de 5 shekels, qu'est-ce qu'il y a ? ». « Un chapiteau ionique », je lui réponds, histoire d'en finir, parce que je suis coincée à l'écouter au lieu de prendre de jolies photos tranquille sans me faire rappeler à l'ordre. Il venait de nous expliquer les chapiteaux corinthiens, ioniques et doriques et n'en revenait pas que j'aie déjà assimilé le contenu de l'immense savoir qu'il avait bien voulu nous dispenser (alors que, tout simplement, j'ai passé suffisamment de temps dans des ruines gréco-romaines pour me souvenir de la différence). Bref, on croyait que le chapiteau ionique était grec ; pas du tout, il vient de Judée, et a été importé en Grèce par les peuples hellènes qui s'y sont installés par la suite. (Je te garantis, j'ai bien écouté, il a fallu que je l'aide à traduire en français, il était un peu à la masse le pauvre.)

Et encore je t'épargne la glorieuse conversation dans le bus sur l'évolution et le fameux « les mecs c'est pas de leur faute s'ils trompent leur nana c'est dans leur matériel génétique » ; juste je te signale qu'une des deux Américaines que je m'étais dénichées est une féministe d'une cinquantaine d'années, enseignante-chercheuse en biologie de l'évolution, j'ai juste eu à m'installer aussi confortablement que possible sur mon siège et compter les points.

Mais ce n'est pas ça qui m'empêchera de rempiler la semaine prochaine pour Nazareth, la mer de Galilée, Cana (comme les noces). Tabgha (lieu de la multiplication des petits pains et la transformation de l'eau en vin), Capharnaüm (ça va être le bordel... pardon), le lac de Tibériade et la rivière du Jourdain. Miaou.