Si je voulais rester dans les bôzétazunis d'Amérique, m'y marier, y avoir trois gosses avec des prénoms impossibles du genre Cyndy, Brianna ou Kanye, vivre dans une grande maison dans un lotissement bien propret avec des grilles autour, et prendre ma belle voiture de douze mètres de large pour aller faire mes courses au centre commercial trois blocs plus loin, je pourrais. (Croyez-moi bien, Madame, je pourrais, on me l'a proposé, pas en ces termes exacts, mais pas bien loin non plus.)

Si je voulais travailler dans une Grande Université Zaméricaine et passer mes heures et mes nuits à gratter gratter gratter et développer mon ulcère pour avoir des sous parce que la recherche indépendante, c'est bien joli, mais faudrait quand même voir à paperasser tout ça, je pourrais essayer et j'aurais de bonnes chances d'y arriver.

Si je voulais élever mes enfants dans un pays où les gens se disputent pour savoir si le créationnisme est scientifiquement valable, si prendre la pilule du lendemain équivaut à tuer un innocent bébé, si les athées n'ont vraiment pas de morale, si les Français sont oui ou non des pleutres, si les armes à feu c'est dangereux (ah non, raté, on ne se dispute pas trop là-dessus, tout le monde aime bien les armes à feu), je pourrais.

Mais ze veux pas.

Ce qui ne manque d'étonner nombre de mes compatriotes, je vous l'avoue, Madame. Compatriotes auxquels je dis, avec l'élégance et la distinction qui me caractérisent, « frout frout frout ». Et ne parlons pas des Zaméricains ou des Zimmigrants, eux ne me comprennent absolument pas.

Je fais donc de mon mieux pour revenir en France, c'est-à-dire à Paris, ou tout du moins en Europe, c'est-à-dire pas trop loin de Paris. Je ferme les yeux quand une offre de post-doc à San Francisco qui me correspond leur passe devant. Je me bouche les oreilles en criant très fort « LA LA LA LA LA » quand on me parle de vivre à New York. Je pars en quête du postdoc européen, et je réponds « oui je suis sûre » d'un ton légèrement énervé quand on me demande si c'est bien ce que je veux faire.

Je fais des efforts, Madame.

Alors en retour, ce serait quand même bien sympathique d'éviter de faire des conneries plus grosses que la porte d'Aix. C'était déjà pas brillant, brillant d'avoir élu le type survolté sur talonnettes ; la tronche de l'opposition de donne pas vraiment envie non plus, faut dire. Une opposition ? Quelle opposition ? Chériiii, arrête de laisser traîner l'opposition sur le canapé, je me suis encore assise dessus, elle est toute défoncée maintenant !

Mais là ? La Suisse extrade vers les États-Unis un mec qui est accusé d'avoir violé (oui, violé, Madame, le vilain mot, violé, violé, violé, pas « eu une relation sexuelle avec », comme certains journalistes voudraient nous le faire croire, les répugnants cancrelats) une jeune fille de treize ans et tout ce que vous trouvez à dire, Madame, c'est que c'est tropinjuste ?

Que le monsieur a beaucoup souffert ? Et les mecs qui peuplent les prisons françaises, vous croyez, Madame, que c'est parce qu'ils ont eu une existence heureuse sur un lit de pétales de roses, qu'ils se retrouvent là où ils sont ?

Qu'il a beaucoup de talent ? Comme Céline et Bertrand Cantat ?

Que c'était y a longtemps ? Comme les camps de concentration ?

Qu'elle avait l'air plus vieille que ça ? Et puis quoi encore, qu'elle avait qu'à pas mettre une minijupe ? C'est quoi, le mot que vous ne comprenez pas, dans « non » ?

Qu'elle ne veut plus en entendre parler ? Parce que ça fait trente ans qu'elle a les journalistes sur le dos chaque fois que le mec fait parler de lui ?

Qu'on ne sait pas exactement ce qui s'est passé ? Et un procès, ça sert à quoi, Madame, prendre le thé ?

Que le monsieur, franco-polonais, a déjà payé sa peine en ne pouvant pas remettre les pieds aux Zuesses ? Zêtes à court d'arguments là non ?

Ce que je vois, Madame, c'est que quand on a du fric et des amis haut placés, la justice devient tout de suite à géométrie plus variable. Et ça, Madame, avec tout le respect que je vous dois et l'estime en laquelle je vous tiens, ça me donne un petit peu envie de vomir sur vos chaussures.

Mais je me retiens. Grâce à des gens qui voient les choses comme moi (à part que j'aime bien les films de Polanksi et que je n'ai jamais lu Battisti).

C'est dire comme je suis bien élevée.