Point de vue totalement subjectif sur le système de santé américain
Je pourrais probablement écrire des tartines sur l'absurdité d'un système dans lequel il est obligatoire d'avoir une assurance pour sa voiture mais possible de ne pas en avoir la moindre pour sa propre santé. Sur les gens qui n'ont aucun sens du bénéfice qu'ils retirent du service public. Sur les gens qui râlent que oui mais eux, ils sont en bonne santé, c'est dégueulasse qu'ils payent pour les malades (et les femmes enceintes) ; allez savoir ce qu'ils comptent faire le jour où un accident ou diagnostic peu encourageant leur tombe sur le coin de la margoulette.
Au lieu de quoi, je vais me contenter de raconter une toute petite partie de mon expérience.
Mon assurance santé est payée par mon université. Pas par bonté d'âme, évidemment : la prime, négociée au rabais (prix de gros pour des gens jeunes et éduqués), est couverte par les frais d'inscription (eux-mêmes couverts par ma bourse). Pour 2009-2010, il s'agit de $2343, pour les curieux.
Comme certains d'entre vous le savent[1], je souffre d'un dysfonctionnement physiologique (dont la nature exacte importe peu). Bien que sous-diagnostiqué (car peu souvent pris au sérieux, à la manière disons de l'algoménorrhée) et rarement aussi prononcé que dans mon cas, c'est un problème relativement fréquent, et qui peut se révéler plutôt gênant même si l'on peut assez bien vivre avec (et qu'il n'est en aucun cas fatal). J'ai été diagnostiquée par un spécialiste il y a quelques années ; il a notamment prescrit des séances de kinésithérapie qui ont conduit à une amélioration notable. J'ai continué de suivre ce traitement jusqu'en juin de cette année, quand mon départ pour Israël l'a interrompu.
En revenant en septembre, j'ai voulu reprendre mes séances là où je les avais laissées. La dame que j'ai eu au téléphone en essayant de fixer un rendez-vous m'a gentiment informée (par chance elle a vu passer d'autres gens dans mon cas) que j'avais besoin d'une nouvelle ordonnance, faite par un des médecins de la clinique étudiante. En effet, notre assurance nous impose désormais de ne consulter directement que les médecins de cette clinique, qui était auparavant réservée aux undergrads (étudiants pré-licence).
Par ailleurs, le montant non couvert d'une visite chez un généraliste ou d'un médicament sur ordonnance est passé de $10 à $15. Les séances de kiné, quant à elles, ne sont plus couvertes qu'à 80% au lieu de 90% ; la franchise étant de $200, et les indemnités ne pouvant excéder $2,000. (Pour un kiné hors-réseau, c'est-à-dire n'ayant pas signé de contrat avec mon assurance, la couverture est de 50% et la franchise de $500.)
J'ai donc obtenu un rendez-vous avec un médecin généraliste qui n'avait aucune idée de ce dont je pouvais bien parler mais semblait croire, fait rare dans un pays où on ne vous communique pas vos résultats de labo et où il faut demander pour savoir quels sont les chiffres de la tension qu'on vient de vous mesurer, que je savais suffisamment de quoi je parlais. Elle m'a donc écrit mon ordonnance, massacrant joyeusement au passage le nom dudit dysfonctionnement. Au cas où mon assurance me chercherait des noises, elle m'a aussi fait une ordonnance pour un médecin spécialiste appartenant à la clinique étudiante. La spécialiste, au passage, n'est présente que deux jours par mois et son emploi du temps était déjà plein pour le mois à venir.
Il m'a ensuite fallu attendre de savoir si mon assurance jugerait l'ordonnance en question valide ou exigerait que je consulte un médecin spécialiste au préalable. Ce n'est qu'après plusieurs heures (en temps cumulé) passées au téléphone, principalement à poireauter et à me répéter, que je finis deux semaines plus tard par apprendre que ma demande n'est pas rejetée, sans que personne ne puisse me garantir que je serai, effectivement, remboursée.
J'ai fini par toper un rendez-vous, six semaines après mon retour, chez l'autre kiné du même cabinet, qui par chance a eu un désistement ce matin. Je ne suis pas sûre qu'il me soit remboursé (pour information, une séance de trente minute est facturée aux alentours de $160 — environ $50 en étant ultérieurement déduits au nom du contrat entre le cabinet et mon assurance). D'après mon expérience, le remboursement me sera de toute façon dans un premier temps refusé sous le prétexte que je n'ai pas déclaré ne pas avoir d'autre assurance ; j'appellerai alors le service client, finirai par avoir quelqu'un en ligne à force de persévérance, et insisterai pour que l'employé en question trouve comment signaler dans mon dossier que non, je n'ai pas d'autre assurance, bien qu'il ou elle n'ait jamais entendu parler d'un tel problème. C'est en effet souvent leur principe de fonctionnement : commencer par refuser. Tout. En bloc. Sous des prétextes fallacieux. En espérant que le client se décourage.
Mon récit retranscrit mal toute la frustration ressentie lors de ces échanges ; les heures passées au téléphone, majoritairement à écouter une mauvaise interprétation des Quatre saisons de Vivaldi (enfin c'est toujours du Printemps qu'il s'agit, de toute façon), pour essayer de clarifier une situation qui reste, malgré tout, assez obscure ; l'inquiétude de devoir tout payer de ma poche ; le tout exacerbé par l'interruption des soins et l'angoisse à l'idée de me retrouver confrontée à un médecin généraliste qui, non content de ne pas savoir ce dont je parle, aurait très bien plus me juger simplement trop délicate.
Malgré tout, j'ai bien de la chance. Mon assurance est, me dit-on, l'une des meilleures qu'il soit en terme de rapport bénéfices / cotisations. Et mon cas est loin, bien loin d'être aussi épineux que celui de nombreux Américains. Obama, pendant sa campagne électorale (souvenez-vous, c'était il y a un an), aimait à faire allusion à sa mère, passant ses heures éveillées à se battre avec les assurances pendant qu'elle se mourrait d'un cancer. C'est une situation qui est encore très, très fréquente aujourd'hui, la banqueroute étant l'une des issues les plus probables d'une maladie grave. J'ai vu une amie passer des heures au téléphone, chaque jour, pendant les dernières semaines de la vie de sa mère (ainsi que celles qui ont suivi), à se battre avec son assurance pour qu'ils honorent leur partie de leur contrat.
Chanceuse, donc. Qui plus est, Schwarzenegger, tout Républicain qu'il soit, vient de signer une loi qui stipule que les assurances santé californiennes ne peuvent pas faire payer une cotisation plus élevée à une femme qu'à un homme, toutes conditions égales par ailleurs. Avoir des ovaires ne pourra désormais plus être considéré comme une condition pré-existante. Youpi ?
Notes
[1] J'en profite donc pour leur préciser que ça va mieux, à défaut de bien, et que je ne baisse pas les bras