La surfeuse blonde
Tout groupe se doit d'avoir son surfeur blond. C'est inévitable. Il y a toujours la jolie fille, le blagueur, le sportif, l'intello, et un surfeur blond. Donc, forcément, quand on crée un groupe de quatre-vingt-douze personnes venant des quatre coins du monde, il s'y trouve une surfeuse blonde. La personne que personne ne comprend. La personne que tout le monde évite. La personne dont tout le monde parle dans les couloirs. La personne dont on aimerait bien pouvoir dire qu'elle souffre simplement de difficultés à comprendre les conventions et relations sociales, qu'elle ne fait pas exprès de jeter systématiquement un froid dans la conversation ni d'agir comme un enfant trop gâté, mais que bon, on y arrive pas.
Gens, des anecdotes sur notre surfeuse blonde (elle n'est ni blonde ni, que je sache, surfeuse), j'en ai treize à la douzaine. Ce qui relève de l'exploit sachant que ça fait quinze jours que je la connais. Mais je vais te raconter la dernière en date, tellement je ne m'en suis pas encore remise.
Contexte : nous avons une chorale. C'est-à-dire qu'une des employées de l'institut, qui est aussi chanteuse, a proposé de mettre sur pied une chorale, grandiosement composée donc d'elle-même, 4 sopranos, 2 altos, et une basse. Les deux altos sont aussi altistes du violonnement, ce qui sonne encore mieux en français qu'en allemand (c'est un peu plus difficile de faire des jeux de mots sur la similitude entre Bratsche et Alt, crois-moi), donc moi, et ma copine altiste brésilienne. Une des sopranos est la surfeuse blonde.
(Par ailleurs, cette chorale est une boucherie. Les 4 sopranos se débrouillent à merveille, étant trois choristes et une chanteuse professionnelle, alors que nous trois qui n'avons quasiment plus chanté depuis l'école de musique de notre enfance massacrons la deuxième voix avec application.)
Le soir de la première réunion de ladite chorale se tenait, comme c'est étonnant, une fête. Lors de laquelle la surfeuse blonde, elle-même une de nos sopranos, vient me trouver et me tint à peu près ce discours : « Mais je ne comprends pas, pourquoi ne chantes-tu pas soprano, quand tu parles, tu as vraiment une voix de soprano ? ».
A quel point ceux d'entre vous qui m'ont déjà parlé dans la vraie vie se tordent de rire à l'idée que j'aie une voix de soprano. Pour les autres, sachez que le charmant jeune homme qui se tenait pas loin de là a failli s'en étouffer avec sa bière.
Comme je n'étais pas sûre d'avoir bien compris, j'ai un peu poussé la chose, et, oui, elle m'a confirmé penser que j'ai une voix aigüe.
Je n'arrive toujours pas à me décider : trouve-t-elle vraiment que ma voix est aigüe, et dans ce cas, comment fait-elle pour chanter aussi bien en étant à moitié sourde, ou voulait-elle me consoler de n'être « qu'» alto, ce que je trouve plutôt insultant ?
Par ailleurs, je sais, ce n'est vraiment pas bien de se moquer, mais le lendemain elle nous a demandé (1) si le Brésil était plus grand que l'Allemagne (2) si c'était loin de Puerto Rico.