A partir de quoi il a fallu que je trouve des jeux de données additionnels, que j'imagine et implémente deux-trois petites fioritures, que je trouve une manière intelligente de présenter les résultats, et que j'écrive une bonne partie du papier.

Puis, parce que malgré le côté complètement à l'arrache pas du tout graou du truc, j'ai encore un minimum de conscience professionnelle (sans parler de curiosité scientifique), que je vérifie les maths dans les moindres détails (et ce à l'époque où on arrivait du point de départ au résultat en 6 équations au lieu de 22 dans la version finale, autant te dire que ça manquait un peu de détails). Ça m'a pris une dizaine d'heures, deux fois plus de feuilles de papier, et une discussion houleuse avec mon Cobural quand j'ai enfin fait tenir les détails sur quatre pages (j'écris gros), façon « — tout ça pour ça ? — parce que tu le vois immédiatement, toi, comment réécrire la dérivée du lagrangien pour obtenir ce terme ? ». Au final j'ai trouvé une coquille (un signe plus s'était subrepticement transformé en signe moins) mais au moins je te garantis que ça marche.

Enfin, dans les derniers moments, ça a donné à peu près ça (si lis mes bêtises sur Touitteur, tu auras déjà eu la plupart des détails, j'admets).

H - 48. Déjeuner avec des collègues d'un autre groupe de recherche. « Oh, on verra bien, là tout de suite les simulations ne marchent pas, il manque un petit bout, et on est toujours obligé de faire rentrer nos données au chausse-pied dans notre cadre. Mais c'est une solution valide pour un vrai problème qui existe, rassure-toi. C'est juste que comme y a pas de solution, personne ne crée de jeu de données qui corresponde, et là j'ai pas le temps de le faire moi-même. Puis on a une introduction, les méthodes, et des tables de résultats, ça va aller. »

On comprend mieux pourquoi ces gens-là m'invitent à déjeuner (ou au cinéma, ou à boire des bières) avec eux : je les fait marrer.

H - 43. J'ai passé l'après-midi sur le canap' de la salle de réunion, avec du thé et du gâteau au chocolat. A coder en tandem avec la thésarde du début de l'histoire. Me sentant tendue, Cobural me fait des imitations de Pedro-Manuel (tu ne sais pas qui est Pedro-Manuel ; c'est plus drôle si tu sais, mais c'est trop long à raconter, bref, je l'écris là parce que ça me fait rire de m'en souvenir, moi, et peut-être une autre personne sur la planète).

H - 42. Suivant l'exemple de Chef, du gars dont c'était l'anniversaire d'où le gâteau au chocolat, et de la thésarde sus-mentionnée et épuisée, j'éteins mon moniteur et commence à me préparer à partir. Cobural s'indigne que nous partions tous déjà alors que nous comptons toujours envoyer un truc à cette conférence (son projet n'est pas assez avancé). Je fais valoir que j'ai une répétition d'orchestre et que je suis incapable de tenir quarante-deux heures sans dormir. Cobural admet qu'il aimerait peut-être bien être capable de voir les choses de la même façon que moi.

H - 40. Répétition d'orchestre. Notre chef est devenu papa le jour même, il est extatique et n'arrête pas de faire des blagues tout en sautillant sur place de la joie que lui procure le début de son congé parental. Je trouve que ça vaut plus le coup que Matlab.

H - 33. Cobural vient d'avoir une idée pour son projet. (Je n'ai plus eu aucune nouvelle depuis, à part la confirmation de l'abandon de l'idée d'en faire quelque chose avant la date butoir.)

H - 29. Chef aime beaucoup mon introduction, mais regrette qu'elle ne soit pas du tout adaptée au style de la conférence.

H - 30. Ah ptain les gars, y a un bug quelque part.

H - 224. Ah, tiens, il faudrait refaire une des expériences. Les données sont en Chine, avec la nana qui se marie demain. Bon, ben on va bien trouver le jeu de données d'origine quelque part ?

H - 213. J'ai trouvé le bug ! Danse de la joie dans mon bureau.

H - 202. A l'issue d'une longue conversation, Chef et moi sommes finalement d'accord sur le message à faire passer dans le papier et les jolis graphiques à dessiner pour l'illustrer.

H - 202. Chef vient me demander si j'ai accès au pipfile. Je le regarde la tête sur le côté, perplexe. Probablement pas puisque je n'ai aucune idée de ce dont il peut bien vouloir parler. Ça le surprend grandement. Il ressort de mon bureau pour s'en occuper. Trois bonnes minutes plus tard, je réalise qu'il parle d'un bibfile. L'accent allemand, pas facile tous les jours pour la petite française.

H - 1921. Je réalise que depuis le déjeuner je suis convaincue que la date butoir est deux heures plus tôt qu'elle ne l'est.

H - 20:48. Je suis incapable de faire le moindre calcul mental.

H - 19. Oh, un rappel de la date limite ! Au cas où les gens auraient oublié et soient à la plage en train de siroter des cocktails avec des parapluies dedans.

H - 18:45. Chef envoie une version non-définitive au cas où.

H - 18:30. « La nuit va être longue ! », s'exclame Chef sur skype. (Oui, il est dans le bureau d'à côté, et j'entends les mouches éternuer à travers la cloison d'une insonorisation à toute épreuve, mais skype, ça va plus vite.)

H - 18:15. Je remarque, aux blagues des gens, que la France a perdu un A. (Manifestement tout le monde autour de moi s'en contrefout ; ça tombe bien, moi aussi).

H - 18. Les simulations commencent à marcher mais je crois que notre thésarde a elle arrêté de fonctionner. Nous commençons à envisager de changer de crèmerie et à continuer la bataille depuis nos chez-nous respectifs.

H - 17. Je suis chez moi, j'ai récupéré du chouette courrier qui fait plaisir, j'ai un bol de soupe, y a les Beatles qui chantent, et j'édite frénétiquement la troisième section du papier tout en causant avec les deux autres sur skype (super-thésarde est de nouveau en état de marche, autant que faire se peut).

H - 16. Chef commence à craquer et à faire des blagues. Nous sommes tous les trois entièrement convaincus que ce papier, c'est du grand n'importe quoi, l'idée est nulle, ça sert à rien, et puis de toute façon ça marche même pas. Enfin c'est pas grave, Chef dit qu'on peut quand même rester chez nous lundi, pour compenser.

H - 15. J'en suis à la fin de mon deuxième litre de thé de la journée (approximativement). Un des trucs que j'ai implémentés marche ! J'en reviens encore moins que les autres et cherche désespérément quel pourrait être le bug. « There's no bug, it's a feature » me dit super-thésarde.

H - 14. Les résultats de nos expériences sont présentés dans un tableau. De 15 lignes et 9 colonnes. Ce qui nous fait donc 135 nombres à 4 chiffres après la virgule. Même moi je n'ai pas envie de les interpréter. Personne ne va lire ça. Je le fais remarquer ; Chef me répond qu'on a d'autres trucs plus urgents sur le feu, là. Je perds l'envie de vivre.

H - 13. Plutôt que de nous endormir sur nos claviers respectifs, nous partons nous coucher.

H - 12:30. Tu le crois, toi, que j'arrive pas à dormir ?

H - 10. Je me réveille en sueur après avoir rêvé qu'on avait pas bouclé à temps.

H - 7:30. Je me réveille vingt secondes avant que mon premier réveil ne sonne.

H - 7. Je prends une minute pour méditer sur le fait qu'il est six heures du mat' un samedi matin. Je ne crois pas avoir jamais travaillé à six heures du mat' un samedi matin de ma vie. Et s'il y a un début pour tout, il y a des choses qui feraient mieux de ne jamais commencer.

H - 6. Je regrette de ne pas avoir de drogues plus forte que de la caféine. C'est pas comme ça qu'Erdös produisait des théorèmes, bordel !

H - 5:43. Je saute dans le premier bus qui peut m'amener en haut de la colline où se trouve mon bureau. Y a vachement moins de bus le samedi matin, dis-donc. Puis y a surtout des gens qui rentrent de soirée, dans ce bus, tiens. Couche-tard et lève-tôt se rencontrent dans le premier métro... Je chantonne du Bénabar, un signe que la fin est proche.

H - 5:15. Le soleil se lève et je me logue sur mon poste de travail.

H - 4. Je commence à essayer de produire le graphique dont on parle depuis hier sans rien faire.

H - 3:30. RHA PUTAIN rien ne marche.

H - 3. Mon cerveau ressemble à un film de guerre froide, avec l'alarme qui fait TUUUUU TUUUUUU TUUUUUU dans le sous-marin en clignotant rouge et tout le monde qui court dans tous les sens on sait pas trop vers où ni pourquoi. En fait, la caféine et les hormones de stress, ça suffit largement, comme drogue.

H - 2. Chef envoie une version non-définitive au cas où.

H - 1:12. Chef convient qu'il serait peut-être temps que j'arrête de me battre avec ce graphique et que je relise le papier.

H - 1. La section 2.2 est encore en chantier ou c'est juste moi ?

H - 45'. Super-thésarde a transformé les lignes les plus intéressantes du tableau maudit (cf. H-14) en jolis graphes. Je l'aime d'amour.

H - 35' Chef envoie une version non-définitive au cas où.

H - 30'. Le titre est tout pourri. Faut trouver un nouveau titre. Maintenant.

H - 25'. « Je touche plus à rien, je relis » dit Chef.

H - 22'. Super-thésarde partage ses dernières modifications.

H - 21'. Chef veut envoyer.

H - 20'30''. « ATTENDS J'AI PAS FINI », je crie sur skype.

H - 20'. OK, vas-y.

H - 19'. Chef confirme l'envoi de la dernière version.

H - 18'. Chef veut savoir s'il y a encore des modifs à faire. Mon cerveau s'écoule lentement par mes oreilles. Super-thésarde tape un truc incohérent à propos d'une douche et de son lit.

H - 17'. Freeeeeee, I'm freeeee faaaaaallin...

Depuis j'ai : passé du temps sur mon canapé, plein ; fait des courses dans la cohue du samedi après-midi ; rien glandé ; dormi ; fait la vaisselle qui s'accumulait dans l'évier ; rien glandé ; fait une tarte aux pommes avec des amis ; dormi ; mangé de la soupe préparée par quelqu'un d'autre ; rien glandé ; fait ma propre soupe ; dormi ; longuement réfléchi au fait que dans mon labo de thèse, on soumettait toujours un ou deux jours avant la date butoir et que personne ne s'en portait plus mal ; rien glandé.

C'était plutôt très bien.