Krazy Kitty lit Strindberg
Titre alternatif:
Critique ô combien littéraire :
August Strindberg
Mademoiselle Julie / Le Pélican
GF Flammarion
Présentation, traduction inédite, notes, chronologie et bibliographie par Régis Boyer.
(Régis Boyer, je te le signale en passant, est un grand spécialiste de littérature scandinave, ce qui est certainement la raison pour laquelle GF lui a donné libre de champ de choisir soigneusement deux pièces de Strindberg, les traduire, les présenter, les annoter, les chronologuer et les bibliographier.)
C'est un livre qui traîne depuis tellement de temps dans mes étagères que je ne sais même plus pourquoi je l'ai. Cadeau ? Recommandation ? Choix aléatoire un jour mal inspiré ? Tout ce que je sais c'est que personne ne veut admettre m'avoir jamais recommandé ou offert Strindberg et que la moitié des gens que j'ai soupçonnés ne lisent jamais de théâtre.
Enfin toujours est-il qu'au lieu de me demander pourquoi il traînait depuis des années au fond de ma pile-à-lire, j'ai décidé un beau matin qu'il accompagnerait parfaitement mon trajet de bus. Je n'étais clairement pas réveillée.
A ma décharge, j'avais entendu dire que Strindberg était misogyne ; je ne savais pas qu'il en faisait une obsession.
La présentation, que j'ai lue avec soin malgré les points d'exclamation superfétatoires qui la criblent et l'abus de phrases nominales, aurait du me préparer.
Ajoutons que, depuis, c'est le drame le plus joué de Strindberg, tant en Suède qu'à l'étranger ! Et que d'éminentes actrices, comme Ludmilla Pitoëff, Nadine Alari, tant d'autres ont été fascinées par le rôle-titre, tout comme une actrice de la qualité d'Anita Björk dans le film de Sjöberg !
(A la relecture je trouve cet enthousiasme touchant. En lisant ça entre deux cahots du bus, j'avais plutôt le sourcil dubitativement haussé.)
Le sentiment d'appartenance à une classe était très vif dans la Suède de la fin du siècle dernier, même si le fait a quelque chose de surprenant aujourd'hui !
(Je... je sais pas, Régis. Essaie de descendre de mineurs cévenols, pour voir ?)
Je parlais il y a un instant de la Femme : l'amateur d'antiquités scandinaves sait que le paganisme nordique fut initialement dominé par des créatures féminines, et, notamment, que la Grande Déesse y tint un rôle capital et ce, jusqu'à une époque relativement récente. La Grande Déesse qui fut certainement le Soleil ou, plus exactement, « la » Soleil puisque ce vocable est féminin dans ces langues.
(Y a que moi qui trouve ça mal fichu, comme phrases ?)
Strindberg y est dépeint comme un génie incompris, un homme en avance sur son temps, et souffrant d'une haine des femmes à la limite du délire paranoïaque.
Je ne ferraillerai pas sur la misogynie de Strindberg [...] J'insisterai uniquement sur un trait congénital de cet esprit : sa hargne, sa violence de détestation.
Je sens qu'on va bien s'entendre, August et moi.
Un parallèle avec Rousseau y est établi, et ma patience à l'égard de Rousseau qui se conduit comme un porc mais c'est parce qu'il souuuuffre le pauvre et qu'il est incompriiiiis et regarde il s'en repeeeent avait déjà atteint ses limites à l'époque ou j'étais moi-même une adolescente imbuvable et incomprise (j'aimerais savoir ce qui est passé par la tête des gens qui ont décidé de mettre ça au programme du bac).
Il s'est sauvé, comme beaucoup d'autres de ses semblables, Rousseau compris, par l'écriture. Parce qu'elle lui permettait tous les aveux, toutes les audaces, toutes les métamorphoses, tous les dédoublements, tous les possibles, parce qu'elle abolit l'absurde démarcation entre rêve et réel [...].
Je vais me permettre de te donner un conseil personnel (crois-moi, c'est d'expérience) : méfie-toi des gens qui rejettent tous leurs travers sur la société et mélangent allègrement illusion et réalité pour se justifier d'être des goujats dans l'une d'entre elles.
Toujours est-il que je ne voulais pas laisser tomber après m'être payé 60 pages de présentation à grincer des dents à chaque point d'exclamation.
J'ai donc continué.
Me voilà à la sixième page de la préface par l'auteur. Je me suis déjà tapé trois-quatre bouffées d'une supériorité si arrogante qu'elle me fait rire tout haut :
Si ma tragédie fait une impression affligeante à beaucoup de gens, c'est de leur faute [...].
Et voilà qu'arrive ce petit bijou :
Victime d'une croyance erronée (qui a saisi même des cerveaux plus forts) selon laquelle la femme, cette forme rabougrie de l'être humain, stade intermédiaire vers l'homme, le maître de la création, le créateur de la culture, serait égale à l'homme ou pourrait l'être, et se développerait en un effort déraisonnable qui la fait tomber.
Que l'on peut par ailleurs comparer, j'en reviens à ma perplexité syntaxique, à la traduction anglaise par Helen Cooper:
She is the victim of a false belief...namely that woman—this stunted form of human being compared to man, the lord of creation, the creator of civilization—is equal to man or might become so. Embracing this absurd ambition leads to her downfall.
Il me faudrait retrouver le texte original, pour déterminer qui de Strindberg ou de Boyer découpe ses phrases avec la rage rancunière de qui vient de découvrir que malgré l'insistance de son institutrice de primaire sur la structure « sujet verbe complément » il est possible de se passer de verbe ; est-ce Strindberg (ou, potentiellement, la structure de la phrase suédoise, avec laquelle je suis peu familière) qui influence Boyer dans l'écriture de sa présentation, ou Boyer qui ne peut s'empêcher de ventiler façon puzzle les phrases tout à fait honnêtes qu'on lui fournit ?
Cette parenthèse close, que l'on ne s'inquiète pas de ce sexisme outrancier : on trouve aussi dans les paragraphes suivants de rafraîchissante bouffées d'un racisme de classe certes tout à fait banal en ce début de vingtième siècle où ils ont été écrits.
L'esclave a, sur le jarl [Rappelons que ce mot s'applique à une sorte de noblesse, d'origine inconnue, qui régna dans le Nord ancien], l'avantage de ne pas posséder ce préjugé mortel sur l'honneur et il y a chez nous autres Ariens un peu du noble ou du Don Quichotte qui fait que nous sympathisons avec le suicidaire qui a commis un acte contraire à l'honneur qu'il a, de sorte, perdu [...]
La préface se finit sur des commentaires sur le théâtre qui m'ont malgré tout donné le courage d'entamer la pièce elle-même... demain.
Cet éclairage par en dessous est censé avoir pour mission de rendre les acteurs plus gras de visage ; mais je demande : pourquoi tous les acteurs devraient-ils être gras de visage ?
Une excellente question, et qui paraît tout à fait absurde à qui n'a jamais vu de pièces que montées ces vingt-cinq dernières années.
Il en va de même pour ce dernier extrait que je vous laisse en conclusion :
Si nous exhaussions le parterre de sorte que l'œil du spectateur atteigne plus haut que le pli du genou de l'acteur !
(Noooon ! PAS LE PLI DU GUEUNOU !)