Le dégoût.
Vlan !
Une gifle.
Les larmes que je m'efforce d'empêcher de monter à mes yeux.
L'envie de reculer, de m'accroupir dans un coin sombre, de me recroqueviller sur moi-même.
Je mords ma lèvre.
Je ne pleure pas.
C'est l'effet que me fait le slogan « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants ». A chaque fois.
Quand j'étais petite, j'avais un papa. Vaguement. Et une maman. Beaucoup. Un papa qui, figure-toi, mentait comme un arracheur de dents. J'ai eu de la chance : entre ma maman, qui a fait bouclier, mes rondelles de saucisson sur les yeux, qui sont épaisses, et le fait qu'on se voyait pas tant que ça, je ne m'en suis pas rendue compte avant d'être adulte. J'ai dégusté, mais je me suis relevée, même s'il m'arrive encore régulièrement de trébucher. Comme à chaque fois que trois cent cinquante mille français bouffis d'intolérance déferlent dans les rues de Paris pour me dire que c'est nécessairement mieux, d'avoir un papa et une maman. Et que ce serait de dire aux enfants qu'ils ont autre chose qu'un papa et qu'une maman, que leur famille n'est pas exactement comme dans les livres d'école avec un papa qui travaille, une maman qui fait la cuisine, un petit frère qui joue au fout, une grande sœur qui se maquille, un chien qui joue à la balle et un monospace, qui serait leur mentir.
(Certes, j'ai été élevée essentiellement par une mère célibataire et les résultat sont là : je suis gauchiste, je suis féministe, j'ai un boulot de mec, je suis célibataire et je m'en fous, et il m'arrive même parfois de ne pas me raser sous les bras pendant plusieurs mois d'affilée. Échec sur toute la ligne.)
Je ne peux que m'imaginer que ces coups de genou que je me prends dans les gencives devant chaque pancarte, chaque radio-trottoir, chaque commentaire du Figaro[1], les homosexuels se les prennent au centuple.
Gens qui défiliez dimanche, gens qui passez à la télé pour expliquer que vous n'êtes pas homophobes mais l'homoparentalité, c'est mal, gens qui laissez des commentaires mal orthographiés sur les sites d'information pour dire que le mariage homosexuel, c'est la chute de la civilisation : vous me répugnez. Vous êtes abjects, dégueulasses, intolérants[2], haineux, puants. Non seulement vous êtes trop étroits d'esprit pour pouvoir considérer un instant que les homosexuels soient des gens comme les autres et qu'être élevé par deux personnes du même sexe ne soit pas plus anormal que d'être élevé par une seule personne, ou une famille nombreuse, ou ses grands-parents, ou sa grande sœur, ou une gouvernante, et autrement plus enviable que d'être élevés par des parents absents, qui boivent, qui se tapent dessus, qui tapent sur leurs gamins ; mais en plus vous vous cachez derrière le minable prétexte du bien-être des enfants, et ça, c'est impardonnable. Si les homosexuels sont des gens comme les autres, ce sont des parents comme les autres. Point barre.
Qu'est-ce que ça peut vous foutre, bande de minables, le sexe et la vie sexuelle des gens ? Qu'est-ce que ça peut vous foutre, que quelqu'un ait un pénis ou une paire de seins[3] ? En quoi ça vous regarde, avec qui couchent des gens que vous ne connaissez même pas ? Et qu'est-ce que ça peut bien changer à l'éducation d'un gamin ?
Rien, voilà tout. Rien, à part l'effondrement de vos frontières mentales et du combustible avec lequel vous alimentez votre sentiment de supériorité.
Parfois il m'arrive d'espérer que Dieu existe et que vous brûlerez tous en enfer. Et que vous y serez pédés.
Notes
[1] Oui, je sais, faut pas. Je le fais quand même.
[2] Non qu'il soit mieux d'être tolérant : cela suppose d'une part une certaine grandeur d'âme, de l'autre qu'il y ait quelque chose à tolérer plutôt qu'à accepter avec l'indifférence réservée aux choses les plus absolument banales.
[3] ou les deux, ou ni l'un ni l'autre, mais bon, je doute que vous soyez prêts à admettre que ça existe.