Découragement ? Évaporation académique ? Décision soudaine d'aller élever des chèvre à Majastres ? Que nenni.

C'est que tout plan de conquête du monde pour trouver un emploi non précaire se doit d'avoir plusieurs cordes dans différents paniers, et que je préparais discrètement (a life needs secret plans, il n'y a que l'ensemble de mes collègues et de mes proches qui en entendaient parler environ, oh, douze fois par semaine) d'autres types de candidatures.

Je me permets ici une parenthèse pour signaler aux bio-informaticiens de passage qu'ils peuvent éventuellement trouver poste à leur goût, suivant leur expérience et leurs préférences, non seulement en temps que maîtres de conférence (sections 26—Maths appliquées, 27—Informatique[1], 64—Biochimie et biologie moléculaire, 65—Biologie cellulaire, 67—Biologie des populations), mais aussi en temps que chargés de recherche CNRS (en particulier la commission interdisciplinaire (CID) 51—Modélisation et analyse des données et des systèmes biologiques, mais aussi éventuellement les sections qui en relèvent), INRA, INRIA, ou encore INSERM. Les postes d'ingénieur de recherche dans ces instituts peuvent aussi intéresser certains. Enfin, rendez-vous service, inscrivez-vous à la liste de diffusion de la SFBI. Pour les chémo-informaticiens, à peu près les mêmes recommandations, plus la liste de diffusion de la société française de chémoinformatique et la section 32—Chimie organique, minérale, industrielle du CNU. Last but not least, il arrive aussi aux grandes écoles d'ouvrir des postes susceptibles de vous intéresser. Ceux-ci seront parfois diffusés sur une des listes sus-mentionnées, mais il peut valoir le coup de passer un peu de temps à enregistrer dans vos signets les pages d'offre d'emploi des différentes écoles (voire équipes) susceptibles de vous intéresser et de leur rendre régulièrement visite.

Malgré le long paragraphe ci-dessus, c'est dans un couloir sombre d'un hôtel américain, tasse en polystyrène d'un café improbable d'une main, yaourt aux « fruits » gélatineux de l'autre et le cerveau embrumé par le décalage horaire, en faisant cap vers de vieilles connaissances pour les saluer, que j'ai capté les mots « nous aussi, on ouvre un poste ». Mon « salut ! » fut aussitôt suivi d'un « je peux postuler ? » auquel je m'entendis répondre « bah j'espère bien », and the rest, as they say, is history.

Une histoire de cinq mois, faite de discussions (toujours dans ces mêmes couloirs sombres) au sujet du poste, qui m'ont permis non seulement de déterminer qu'il apparaissait parfait pour moi, mais aussi d'orienter ma candidature ; de longues heures passées à peaufiner un projet de recherche et une lettre de motivation, relues d'un œil critique par un petit régiment de collègues et d'amis ; d'attente ; de messages annonçant que j'avais passé la première étape de la sélection, puis la deuxième ; d'une invitation, enfin, à une journée d'entretien ; de longues heures, de nouveau, à préparer ma présentation pour ladite journée, en envoyer les slides à mon relecteur préféré, la répéter devant un panel de collègues comportant des gens qui connaissent ma recherche sur le bout des doigts, et d'autres vaguement familiers avec certains seulement de ses aspects, pour avoir un éventail de réactions aussi vaste que possible ; d'angoisse ; et de soirées entières à fatiguer mes amis et Twitter à disséquer la situation sous tous les angles et à mettre Paris en bouteille. Gens qui as croisé tes doigts, insisté que j'étais la meilleure pour le poste, coaché ma respiration, patiemment écouté mes ressassements et lu tous mes messages instantanés même quand ils tournaient en boucle, tu te reconnaîtras, tu as été formidable et je t'aime d'amour.

L'histoire atteignit sa conclusion un soir un peu avant minuit, sous la forme d'un courrier électronique que je ne me lasse pas de relire, m'annonçant que le poste m'était offert. Cris de joies, glapissement, bonds sur place, coups de téléphone malgré l'heure improbable, nuit presque blanche. La décision fut facile à prendre : j'ai accepté le poste, le président du comité m'a répondu d'un bref mais expressif « Génial ! », et je déménage à Paris cet automne. Depuis j'ai déjà reçu plus de messages de félicitations lyriques, de coups de téléphone extatiques, de poignées de main avec les yeux qui brillent et de « oh putain oh putain oh putain » (et de "Like" sur Facebook) que quand j'ai soutenu ma thèse ; j'ai fait sauter le champagne au labo ; et la série de célébrations n'a fait que commencer, avec un samedi sans la moindre pensée de boulot suivi d'un charmant dîner en terrasse (eut égard à un jour exceptionnellement chaud pour ce mois d'octobre de mai, il faisait bien 15°C).

Huit ans plus tard, mes aventures d'expat sont sur le point de se terminer. Je me réjouis de rentrer, surtout pour ce poste dont la perspective m'enchante, mais je sais que c'est la fin d'une époque qui s'annonce... il est peut-être même temps d'envisager de changer le nom d'American Rhapsody.

Notes

[1] Attention ! Cette page peut abîmer vos yeux et vos espoirs pour l'informatique française