Alors que le brouillard épais du deuil commence à se lever, je reprends conscience de tout ce qui s'est passé en marge de ma famille et de notre douleur pendant ce temps.

Quand j'ai rappelé ma mère, les mains tremblantes de la certitude qu'il était arrivé quelque chose à ma mamie (s'il y a un message sur mon répondeur, que celui-ci ne contient pas les mots « rien de spécial » mais plutôt « rappelle-moi », il est arrivé quelque chose), je sortais d'un dîner professionnel au cours duquel j'avais longuement discuté de politique de la recherche et de politique tout court avec une prof que j'admire depuis fort longtemps. Elle m'avait claqué la bise en partant.

Le lendemain matin, après à peine quelques heures d'un sommeil torturé, marquait le coup d'envoi d'un événement de neuf jours que je me suis donné un mal de chien pour organiser et qui a fonctionné comme sur des roulettes (grâce notamment aux collègues qui ont admirablement accepté que je me décharge sur eux d'un certain nombre de responsabilités), ce pour quoi j'ai été plus félicitée que je ne le mérite.

J'y ai appris beaucoup de choses, pris des notes qui me sont déjà utiles, eu des échanges riches dont la teneur me revient peu à peu. Un des participants avait un sourire pétillant tout à fait à mon goût et je ne l'ai vraiment réalisé que quelques heures après la clôture, au moment où j'ai enfin remarqué les mots qu'il a choisis pour me dire au revoir.

J'ai eu, l'air de rien, quelques réunions impromptues, des questions de logistique, les projets des élèves, un programme scientifique à établir, autant de questions dont je m'aperçois aujourd'hui, un peu étonnée, que je les ai déjà réglées.

J'ai passé des heures à parler de ma grand-mère, de ma douleur, de mon deuil avec certaines personnes dont je ne me rends compte que maintenant qu'elles se sont aussi beaucoup ouvert à moi en retour.

La confiance au gouvernement, le retour du petit Nicolas, l'actualité politique ou non sont passés largement à la trappe (et il m'est difficile de le regretter maintenant).

France Culture, en me parlant de lait d'épaule et de lait de cœur, m'a enfin permis de comprendre les représentations de la Vierge allaitant d'un sein situé de façon anatomiquement improbable plus près de sa clavicule que de ses côtes, sources d'une profonde perplexité depuis mon adolescence.

Une amie a démissionné tellement son employeur lui était devenu insoutenable. Fort heureusement pour elle, son horizon professionnel s'est de nouveau dégagé avant que je n'aie eu le temps d'examiner de près l'information. Un ami a retrouvé ses papiers d'identités égarés (dans un canal. L'alcool, c'est mal). Un autre a fait son coming-out auprès de sa famille (ça s'est bien passé). Il y a eu des anniversaires. Des enfants qui grandissent. Des gastros. Des avions en grève.

Ce monde qui continue de tourner, ce qui rend parfois la douleur encore plus vivace, est aussi ce qui permet de faire son deuil. Life goes on.