Le voyage groupé
Pour paraphraser l'Impératrice, la personne qui a créé mon voyage guidé doit aller en enfer en RER C, un jour de grève, avec une classe de CE2 italiens qui ont tous les oreillons, sur une version au tuba-dans-tes-oreilles du best-of de Justin Bieber.
Et éventuellement pendue par les tripes.
Mais je médis. Car mon voyage guidé, dont la description contenait les mots-clés « charme », « culture » et « tradition » contenait effectivement les trois. Le charme du foutage de gueule, la culture de l'arnaque, la tradition de se moquer du touriste dès qu'il débarque avec ses sandales, son appareil photo en bandoulière et son sac sur le dos.
Dès lors, pourquoi se gêner, tout en te targuant d'amener Le Touriste à la rencontre de la population locale, du pays tel qu'il n'est pas vu par ces cons d'autres touristes en short qui viennent pour la plage, pour le prendre pour un gros cornichon ?
Colle-donc Le Touriste, venu découvrir un pays et ses habitants, dans des hôtels de vaguement luxe, à savoir grands, inconfortables, dotés d'un buffet dont l'abondance n'a d'égale que la fadeur de la nourriture proposée, pleins d'employés prêts à se plier en douze pour avoir un pourliche sans même reprendre leur souffle avant de médire de lui dans une langue qu'ils lui supposent inconnue.
Ramène Le Touriste à la niche vers 17h sous prétexte de coucher du soleil, et sors-l'en vers 9-10h parce que bon, c'est les vacances, reposez-vous. Ça te permettra d'engager des vampires comme chauffeurs, et au guide de rentrer dans sa famille à une heure raisonnable pendant la moitié du circuit qui s'effectue près de là où il ou elle habite. Assure-toi aussi que les hôtels soient loin de tout, des fois que Le Touriste s'en échappe pour aller visiter par lui-même. Le Touriste va commencer à s'emmerder vers 17h30 et, s'étant couché à 21h45 de dépit, sera frais, dispos, et d'humeur charmante le lendemain matin.
Fais manger Le Touriste dans des restos pour touristes qui n'ont ouvert que pour lui (c'est la basse saison), tout en lui garantissant qu'il a de la chance qu'il y ait si peu de monde pour goûter à cette délicieuse spécialité locale. Ne te gêne pas pour proposer des déjeuners chez l'habitant (tant que le restaurateur habite au-dessus du resto, tu n'auras pas menti). Arrange-toi pour que la bouffe soit la plus européenne, fadasse et vaguement huileuse possible.
Profite de ce qu'il y ait justement peu de touristes et qu'ils soient tous dans le même hôtel pour laisser ton guide conférer avec les autres guides afin que les groupes ne se marchent pas sur les pieds, puis annonce fièrement à ton Le Touriste que tu l'amènes voir des choses vachement authentiques que personne d'autre ne voit. Statistiquement, sur l'échantillon de ce voyage, tu seras peut-être surpris de savoir qu'il y en a 1 sur 4 qui y croit (et c'est déjà beaucoup).
Inclus des journées bien vides dans le circuit, en comptant sur les autres pour compenser. Le Touriste a la mémoire si courte ! Tu peux passer trois heures dans des routes sinueuses pour l'amener dans un bled en bord de mer, bord de mer qu'il aura 20 minutes pour visiter avant d'être rapatrié illico presto dans son hôtel moisi (littéralement, humidité de bord de mer oblige), et de se taper les mêmes trois heures retour le lendemain matin. Tu peux aussi l'amener, attention c'est subtil, dans un piège à touristes locaux, pour lui montrer comment les gens du cru (enfin, ceux qui ont du fric à jeter par les fenêtres et des goûts de chiotte) passent leurs vacances à eux.
Si Le Touriste refuse de faire une excursion facultative, ne le laisse surtout pas se balader en centre-ville : il pourrait lui y arriver malheur. Prends plutôt bien soin de le ramener à l'hôtel dans lequel il pourra se tourner les pouces tout l'après-midi (en plus de la soirée).
Des points bonus si tu peux sortir un guide qui manipule le mot « juif » comme d'autres « Voldemort », jusqu'à ce qu'elle additionne ta tronche à ton nom de famille et trouve gloups.
(J'ai vu des beaux paysages, j'ai pris 1600 photos que je ne trierai jamais, j'ai respiré les odeurs, écouté les sons, senti la chaleur du soleil sur ma peau, et j'ai énormément apprécié d'avoir environ zéro décision à prendre chaque jour, ce qui était exactement ce dont j'avais besoin. Mais néanmoins.)