The gray in this city is too much to bear
Un tourbillon de choses à faire, de listes qui s'allongent, de corvées qui s'accumulent, de lieux où être et de petites contrariétés à gérer.
Mais, au milieu de tout ça...
Le confort chaleureux du Comptoir des Lettres après d'infructueux essais de pantalons.
Quelques mètres carrés de Sicile en plein Paris, Sandro[1] qui enfourne des pizzas, la patronne qui encaisse et mes yeux plongés dans ceux de mon bassoniste.
Les manifestations contre la prolongation de l'état d'urgence qui s'organisent.
Le quatuor Tetzlaff à la Philharmonie, vue plongeante sur l'altiste Hanna Weinmeister, et le tragique du lancinant Quatuor à cordes n° 11[2] de Chostakovitch.
Le couple âgé au premier rang, sa canne à lui, son plaid à elle, leurs rides à tous les deux, et leurs mains enlacées, et la mienne qui se glisse dans celle de mon amoureux[3].
Le canapé d'un pote un vrai de vrai, un de ceux dont tu sais qu'ils seront toujours là, en dépit de ou plutôt à plus forte raison étant donnée la vingtaine d'années qui a séparé l'époque où vous jouiez ensemble au Petit Bac et celle où vous vous êtes retrouvés, grandis tout pareil non de votre enfance vaguement partagée mais des expériences pourtant si différentes qui la suivirent. Le petit garçon qui transparait toujours derrière ce gaillard qui a bourlingué en Amérique du Sud, bossé dans les quartiers Nord de Marseille, travaillé d'arrache-pied à des régularisations de demandeurs d'asile, lu plus de livres et vu plus de films en un an que toi en trente, et qui trouve quand même des conseils à te demander.
Un projet dont j'ose à peine parler tellement il me tient à cœur et que j'ai peur de lui porter malheur, un projet qui pousse un mec qui a une page Wikipedia longue comme le bras et des récompenses à n'en plus finir à nous écrire, à moi et ma partner in crime, pour nous dire le plaisir qu'il a à bosser avec deux personnes aussi passionnées que nous, un projet donc qui prend doucement son envol.
Le son fabuleux de Renaud Capuçon et de son Guarneri, sur France Musique un matin, faisant d'un morceau aussi galvaudé que les Airs Bohémiens de Sarasate un instant magique[4], de presque recueillement, qui m'a pris par surprise. J'en avais des frissons.
Des tablées de potes, d'amis, de collègues, de gens croisés une fois ou cent, des bières, des sushis, de la bonne humeur et de la chaleur humaine.
La beauté du concerto pour basson en Fa M de Vivaldi, sous le souffle expert de Gustavo Núñez.
Ces mails qui atterrissent dans ta boite comme un fruit bien mûri par le travail que tu as entrepris des mois voir des années plus tôt.
Le parfum de fleur d'oranger de la frangipane.
Notes
[1] Évidemment qu'il s'appelle Sandro.
[2] Ici par le quatuor Borodine, qui est aussi très bien, bien que légèrement plus concentré en vieux barbons.
[3] J'ai essayé de résister sur ces pages, mais rien n'y fait : je tombe inéluctablement dans la guimauve.
[4] C'était plus beau dans son intégralité dans ma radio, mais si tu ne connais pas la technicité du truc, liseron, je t'encourage à regarder ces quelques minutes de vidéo.