Mort aux tueurs de drosophiles !
La nouvelle n'a pas eu l'air de faire beaucoup de vagues en dehors de la Californie (et surtout du système universitaire), et pourtant. Le week-end dernier, à Santa Cruz, des activistes amis des animaux ont fait exploser deux bombes incendiaires à l'intention de deux professeurs de l'université de Santa Cruz. Une dans la maison d'un biologiste moléculaire qui expérimente sur des souris blanches, l'autre dans la voiture d'un type dont finalement on ne sait même pas s'il travaille avec des animaux. Au passage, Santa Cruz, en août, c'est un peu comme le Var, ça brûle bien, du beau boulot. Ah, et puis détail, le premier prof était chez lui avec sa femme et ses enfants.
On peut se référer par exemple à l'article du Santa Cruz Sentinel, un des premiers à rapporter l'incident.
Et le pire, c'est que c'est loin d'être un incident isolé. Des bombes incendiaires pour chercheurs sur animaux, y en a eu récemment à Los Angeles. A Berkeley, ils se contentent de recevoir des lettres de menaces. De plus en plus de campus universitaires redoublent de vigilance en ce qui concerne la sécurité des laboratoires de biologie. Il y en a même qui commencent à envisager de recruter des vigiles.
This is wrong on so many levels (autrement dit, ça sent tellement mauvais à tous les étages) que j'ai envie de hurler chaque fois que j'y pense.
D'abord, prendre le risque de déclencher de sérieux incendies, et de blesser voire tuer des enfants, pour protester contre le fait que leur père injecte le cerveau de souris qui ne lui ont rien demander, c'est un peu, comment dire... démesuré au point de ne plus très bien faire passer le message ? Apparemment d'ailleurs les habitants de Santa Cruz sont indignés, alors que Santa Cruz, c'est un peu le paradis du végétalien pourfendeur défenseur de bonnes causes.
Ensuite, les noms et adresses de ce monstrueux chercheur qui maltraite des pauv' souris qui ne lui ont rien fait (des souris aux yeux bleus ?) se trouvaient dans un dépliant récemment distribué plus tôt dans la semaine recensant 13 professeurs travaillant sur des animaux – y compris des drosophiles. Des drosophiles. Des putains de drosophiles. Excusez-moi, je m'étrangle avec ma propre (et vertueuse comme de bien entendu) indignation et je reviens. Des moucherons, quoi. Si on commence à lancer des bombes à la gueule de tous les gens qui ont un jour tué un moucheron, on va régler ce problème de surpopulation de la planète très, très rapidement.
Je sais, faire des expériences sur des souris blanches, c'est dégueulasse. T'aimerais qu'on t'injecte un produit suspecté d'être cancérigène juste pour voir après combien de temps tu meurs ? Non, hein. Mais des trucs dégueulasses, je peux t'en citer plein.
Par exemple, s'attaquer au virus du SIDA, c'est dégueulasse. C'est un être vivant aussi, ce virus, il a pas le droit de se reproduire en paix ? Ah, pardon, c'est lui qui a commencé. Comme les moustiques qui transmettent le paludisme. Ou les trypanosomes qui transmettent la maladie du sommeil. Et la tuberculose, elle a pas le droit de vivre ? Et les cellules cancéreuses, on pourrait pas leur foutre la paix un peu ?
Tu sais aussi ce qui est dégueulasse ? Que les gens meurent d'un cancer. Tu t'es marré, toi, peut-être, le jour où ta tante / ton grand-oncle / la mère d'un copain / ton ancienne instit' sont morts d'un cancer ? T'as pas trouvé ça dégueulasse ? Et que ta grand-mère ait Alzheimer (ne t'inquiète pas, tu as environ quatre fois plus de chances qu'elle de le développer, tu en feras probablement l'expérience à sa place si elle a manqué ça), ça te fait plaisir quand tu vas la rendre visite ?
Et tuer des animaux pour les bouffer, ouais, ça aussi, c'est dégueulasse. Dommage que ça goûte bon et que ça soit aussi nourrissant, la viande, hein. Et tes chaussures de cuir qui te tiennent chaud l'hiver ? Et les moutons qu'on a rasé sans leur demander leur avis pour leur prendre leur laine ? T'y as pensé, aux moutons ? T'as remarqué que chez nous quand on rase des gens à l'encontre de leur plein gré, c'est rarement pour leur faire plaisir, tiens, regarde à la Libération.
Attends, attends, on a failli oublier, dis, à force de se regarder notre nombril repus et satisfait de sa bonne conscience : et les enfants qui meurent de faim ? Cherche pas bien loin, va, y en a dans ton pays aussi. Et les femmes battues ? Et les victimes de viol ? Et les gens qui se prennent une guerre sur la gueule sans avoir rien demandé ? Et les Birmans ? Et les Tibétains ? Et le Darfour ? Non mais d'accord tu as choisi ton camp. Toi, tu défends les rats de laboratoire. C'est vrai que ça se passe sur le pas de ta porte, ces horreurs-là.
Et puis, dis-donc, tu sais qu'il y a des lois, quand-même, dans ce pays ? Et aussi des gens qui développent un truc bizarre, ça peut arriver à force de trop réfléchir, tu sais ce que c'est les chercheurs, comment ça s'appelle cette chose déjà ? Ah oui, l'éthique professionnelle. Tout ça pour dire que n'importe qui ne peut pas faire n'importe quoi avec des animaux de laboratoire. Tu peux pas te dire, tiens, si je chopais ce beagle qui a probablement été volé à une petite fille vu la ristourne qu'on a eu dessus, et que je lui plantais des aiguilles dans le cerveau, juste pour voir ?
Nan, tu peux pas. Tu fais des expériences sur des animaux parce que t'es obligé.
Parce que tu peux faire tous les modèles que tu veux (et tu sais ce qu'on y comprend, à comment ça fonctionne, un être vivant ? Pour te dire on est pas foutus de modéliser une seule cellule correctement. Alors tes modèles, ouais, ben c'est un peu comme quand tu t'amènes chez un physicien théoricien avec une voiture en panne et que le mec commence par te la modéliser par une sphère, puis te la réduire en deux dimensions : ça marche moyen, moyen), mais ils ne se valident pas tous seuls, les modèles.
Parce que quand tout indique qu'on a trouvé une molécule qui va peut-être guérir ta gamine de sa myxomatose des genoux, y a cette organisme ridicule, la Federal Drug Administration, qui refuse qu'on la lui fasse avaler (la molécule, à la gamine, je précise hein) sans être à peu près certains que ça ne va pas lui coller un cancer ou la faire mourir sous deux semaines dans d'atroces souffrances, et que si ton médicament te crève un rat de laboratoire le temps de dire ouf, y a des chances que ça ne lui fasse pas du bien, à ta gosse.
Parce que comprendre comment ça marche, une souris, je sais, ça vexe ton égo, mais ça aide beaucoup à comprendre comment un être humain fonctionne. Et avant d'avoir le droit d'utiliser des animaux pour tes travaux, faut que tu justifies ne pas avoir d'autre moyen de faire, que tu réduises le plus possible le nombre d'animaux sur lesquels faire tes expériences, et que tu mettes tout en place pour qu'ils souffrent le moins possible. C'est moins facile que d'embaucher des petits métèques pour coudre des baskets à longueur de journée, je te promets. Les mecs, ils ne se frottent pas exactement les mains en ricanant à l'idée de piquouser des êtres vivants avec un truc qui risque de mal tourner. C'est pas exactement du sadisme, ce qu'ils pratiquent.
Mais enfin, sinon, y a les témoins de Jéhovah, aussi, hein.