Krazy Kitty cherche et trouve
Non, je rigole, je cherche beaucoup plus que je ne trouve. Je me suis dit que ce serait amusant de vous raconter pour une fois les détails de ma journée de doctorante. Un peu comme du live-blogging sauf que je ne vais pas mettre à jour à chaque nouvelle ligne ou comme un rapport de gendarmerie d'Embruns (oui bon vous savez aussi bien vous servir d'un moteur de recherche que moi, non ?) mais pas pareil ou comme une boulimie de twitter qui aurait mal tournée... enfin comme si je vous racontais ma vie comme d'habitude mais avec des heures en plus. Le pied.
Note liminaire : je maintiens un équilibre assez exceptionnel entre mon travail et le reste de mes activités pour une universitaire. Par exemple, ce soir à vingt heures j'éteins ma machine et vais boire un verre et je ne le la rallumerai pas. Je glande à fond, quoi. Et aussi, je suis scrupuleusement les ordres de la kiné de ne pas rester assise plus de 30 minutes à mon ordinateur, et comme il m'est difficile de m'étirer (ou de m'occuper) pendant les intermèdes quand je suis au labo, je travaille partiellement de la maison.
6h27 : Le radio-réveil se met en marche. Je n'ai toujours pas trouvé de station convenable pour un réveil en douceur. L'alarme elle-même me fait penser à une sirène de pompiers et si je l'utilise, je me retrouve toute habillée en train de chercher le mât métallique le long duquel je dois me laisser glisser pour rejoindre le garage, ce qui est tout de même peu opportun.
6h37 : Je m'extrais de dessous les couvertures. J'allume, je fais mon lit, j'enlève soigneusement la page du 15 avril du calendrier, j'allume mon ordinateur et lance Thunderbird, Firefox et Liferea. Je me précipite dans la salle de bain.
7h05 : Je sors de la douche. Je vérifie la météo (23°C, vaguement couvert) et m'habille en conséquence (jean bleu marine neuf – tiens, il se boutonne du mauvais côté – et T-shirt rose à manches courtes – j'ai l'air d'une fille !).
7h10 : Je jette un œil à mes mails et vérifie que rien d'urgent ne s'y cache. Ah, il est dix, le pare-feu du campus se met à jour, je perds ma connexion.
7h15 : Je prépare mon petit-déjeuner (yaourt maison, salade de fruits et céréales, et un café).
7h25 : Je lis les nouvelles neuves du jour (sur Libération, Rue89, le New York Times, le Huffington Post et Slashdot) et les billets parus sur mes blogs préférés en prenant mon petit-déj.
7h55 : Je me brosse les dents.
8h05 : J'ouvre mon livre de bord[1] et me replonge dans la liste de choses à faire que j'ai écrite hier. Première chose, me connecter à ma machine de travail et regarder quelles expériences lancées hier ont fini de tourner.
8h10 : Ça y est, j'ai les performances de tous les modèles auxquels je m'intéresse sur un des jeux de données. J'essaie d'en tirer des conclusions. Comme il s'agit d'un projet que je traine depuis un moment et qui a été relégué pendant un certain temps sur le bruleur du fond en seconde place, j'ai besoin de me replonger dans mes notes et des résultats préliminaires pour me remémorer pourquoi j'ai choisi tout particulièrement ces modèles, et comment ils se sont comportés précédemment. Mon but est double : je cherche et à comparer les modèles (afin de mieux les comprendre), et à obtenir les meilleures performances.
8h35 : Je réalise qu'il y a tout un tas de modèles similaires auxquels je n'avais pas pensé plus tôt que je devrais tester... mais il est l'heure de prendre une pause. Je fais dix minutes d'exercices de kiné pour mes lombaires.
8h50 : Je me remets au boulot.
9h05 : Les résultats ne sont pas franchement encourageants... Toutes ces jolies façons d'utiliser plus d'information ne font apparemment qu'empirer les performances...
9h10 : Je commence à calculer les modèles mentionnés à 8h35, du moins ceux pour lesquels je n'ai pas besoin d'écrire du code supplémentaire, juste d'utiliser des scripts que j'ai déjà de manière différente. Je liste toutes les étapes à effectuer afin de ne pas perdre le nord.
9h20 : Fin de ma demi-heure. Je vais faire la vaisselle et des étirements.
9h45 : Je réponds à Pétronille qui est toute suspendue dans les commentaires Je remarque aussi que le blog n'est plus à l'heure... Je continue mes calculs de 9h10.
10h05 : J'écrase par erreur un fichier... la routine... je farfouille dans les archives pour le retrouver.
10h15 : Il ne fait pas super beau, je rajoute un pull (framboise) sur le t-shirt (rose). Je débranche la bête, la colle dans ma sacoche avec mon carnet de bord, prends mon déjeuner dans le frigo et me rends vers mon bureau sur mes petits pieds (38, précisément).
10h20 : Mon nouveau pantalon est légèrement trop court. Je suppose que si j'avais choisi long au lieu de average je marcherais dessus...
10h21 : Mes cheveux me tombent dans les yeux. Il faut vraiment que j'aille chez le coiffeur. Est-ce que si je vais chez le coiffeur « pas cher » il va me massacrer ?
10h45 : J'arrive au labo. Je range mon déjeuner dans le frigo. Je dis bonjour à un certain nombre de gens, mets le calendrier à jour, et repars pour un séminaire.
10h50 : Chouette, un des écrans qui présentent le travail du département affiche ma diapo ! J'arrive dans la salle de conférence... quoi, rien à boire, rien à manger, c'est quoi, ce séminaire ? C'est comme ça qu'on accueille les gens de Carnegie Mellon, maintenant ?
11h00 : Le mec a un doctorat de Standford, a travaillé à Berkley et est professeur assistant (ce qui signifie non-titularisé) à Carnegie Mellon. Je me sens toute petite.
11h15 : Le séminaire est intéressant, je prends des notes. Ça parle de comment optimiser le nombre et la localisation de senseurs (par exemple pour détecter une éventuelle contamination d'un réseau d'eau potable).
11h43 : J'ai faim. J'ai peur que mon estomac ne devienne bruyant.
11h44 : Wow, on est 4 femmes dans la salle ! Dont une Américaine ! Non mais il n'y a pas de sous représentation des femmes en apprentissage statistique. Pas du tout.
11h50 : Le mec applique ses méthodes au web : comment optimiser 10 minutes de lecture de blogs pour obtenir le maximum d'informations ? (CUI, c'est pour toi.) Évidemment, il s'agit de lire le plus d'informations « importantes » et le moins d'informations « non importantes » possible, pas de se faire plaisir à regarder des dalmas frétillants (ça y est, tu l'as, ton lien, Aurélia ?) ou lire des jolis mots bien agencés... mais bientôt le système sera disponible !
12h01 : Mon crétin de téléphone vibre. C'est ma grand-mère... je la rappellerai.
12h05 : Je suis de retour dans mon bureau. Je rappelle ma grand-mère.
12h23 : Ma grand-mère m'annonce qu'elle a reçu une mirifique augmentation de sa retraite. De 15 euros. Par an.
12h25 : Is it lunch time yet?
12h26 : It is!
12h30 : Je réchauffe mon déjeuner dans le micro-onde, de même que Collègue1 et Collègue2, tandis que Collègue3 part s'acheter un hamburger.
12h40 : Nous nous installons au soleil pour déjeuner
13h00 : Collègue5 arrive et transforme la conversation en discussion de travail
13h15 : Le surfeur naze arrive. Nous mettons fin à la pause.
13h20 : Le système de fichiers rame à fond, j'ai du mal à avoir accès à mes dossiers...
13h25 : Ah, ça a l'air de remarcher. Je vérifie que quelques étapes intermédiaires de mes calculs se sont bien passées, en lance de nouveaux.
13h30 : Je relis mes notes des deux dernières semaines (Advisor n'était pas là la semaine passée) pour y trouver des choses à dire lors de la réunion de labo. C'est pas gagné – je suis plutôt en phase « je continue de travailler sur X et attends d'avoir fait plus de tests avant de tirer des conclusions »...
13h45 : J'ai mal au dos. Je me lève et vais faire les cent pas dans le couloir. Merdum, le surfeur naze est là. Je me réfugie aux toilettes. J'en profite pour discrètement faire quelques étirements.
13h50 : Rha, j'ai oublié de faire une recherche bibliographique sur une question qui me turlupine... y a plus qu'à poser la question en réunion et voir ce qui en sort.
13h51 : Flûte, un de mes calculs ne marche pas... il va falloir diagnostiquer tout ça.
13h56 : Je diagnostique, je diagnostique... et je ne trouve rien du tout.
13h58 : Ça s'agite dans le couloir... c'est l'heure de la réunion !
14h02 : La réunion commence. Advisor nous annonce l'arrivée d'une femme qui va peut-être travailler avec nous en septembre et pour l'instant prend la température de l'eau. Peut-être que la durée de mon statut de seule double-X du labo sera limitée à quinze mois ?
14h06 : Je commence mon compte-rendu.
14h09 : Après quatre interruptions, je finis mon compte-rendu. Ce serait chouette d'avoir vraiment quelque chose à dire la semaine prochaine...
14h21 : Quelqu'un parle d'un projet à propos duquel je n'ai aucune idée. Je lis Daily Kos.
14h25 : Le tour de table est fini. C'était court. J'ai soif, personne à qui j'aie besoin de parler maintenant, je retourne dans mon bureau.
14h30 : Advisor remonte avec moi. Je discute un peu avec lui.
14h35 : Un de mes collègues m'annonce que je suis supposée écrire un « plan de thèse » de trente ou quarante pages. Uh ?
14h45 : Si je fais semblant de n'avoir rien entendu et que mon comité ne me demande rien... c'est pas comme si on allait me reprocher de ne pas avoir écrit de plan après avoir approuvé le document final, si ? Bon, c'est l'heure de partager une de mes tablettes de chocolat au caramel envoyé par ma maman.
14h50 : Y a plus de chocolat...
14h51 : Je continue d'essayer de diagnostiquer. En parallèle, je détaille une liste de calculs que je peux lancer sur une machine plus puissante (très beaucoup plus puissante, en fait, Sun nous la fait essayer en attendant de voir s'ils convainquent Advisor de débourser $800,000 pour elle).
15h20 : Je m'étire dans le couloir...
15h45 : J'ai fini ma liste. Je lance les premiers calculs. Je continue d'essayer de diagnostiquer mon problème (c'est une allocation mémoire qui flanche).
16h00 : Y en a marre, je vais raconter des bêtises chez Miss SFW.
16h10 : J'adore ce billet, je reçois plein de commentaires... bon, y a plein de trucs qui tournent, plein d'autres en attente sur le cluster (qu'un de mes collègues a massivement monopolisé), mon bas du dos qui s'ankylose, il est temps de rentrer. En plus c'est l'heure de goûter !
16h40 : Oooh, toutes ces publicités dans la boîte aux lettres... que c'est mignon...
16h45 : J'ai faim, mais si je goûte, j'aurai pas faim pour dîner avant 20h, mais si je goûte pas, mon estomac va s'auto-digérer... bon allez, compote de pommes.
16h55 : Je fais mumuse avec les mots pour répondre à Alexandre et au Lecteur silencieux dans les commentaires.
17h05 : Bon, d'accord, je vais implémenter ce petit changement dont j'ai besoin pour calculer les nouveaux modèles dont je parlais ce matin. Bien que je ne code généralement que le matin (après, mon cerveau a du mal à être suffisamment rigoureux).
17h35 : Je crois que ça devrait marcher. Je vais faire mon étirement favori (celui où je m'allonge sur le ventre, un oreiller sous l'estomac, et un autre entre mes jambes qui forment un 4).
18h : Allongée sur mon lit, je lis un article récemment publié. C'est très intéressant mais n'a qu'un faible rapport avec ce dont je pensais que ça causait.
18h30 : Un dernier regard à ma machine, pour vérifier que tout tourne... Je fais le point de ma journée et inscris ma liste de choses à faire dans mon livre de bord.
C'était un petit aperçu de ma vie de chercheuse... pas beaucoup de trouvailles aujourd'hui, et puis il faudrait encore parler des réunions avec les chimistes, biologistes et médecins, des grandes batailles théoriques avec le tableau blanc, des écritures de papiers, des échanges de mails qui rendent fou, des critiques d'articles, de la recherche de données (ou d'information en tous genres), et de plein d'autres choses encore.
Notes
[1] Oui bah je l'appelle comme je veux, mon cahier, d'abord