Le niveau baisse
Comme chantonnerait Francis Blanche sur un air de Roux-Combalusier, le compositeur qui monte, « à la mare aux grenouilles j'ai de l'eau jusqu'aux genoux » (oui je donne dans le raffiné aujourd'hui), je ne sais pas si le niveau baisse mais en tout cas il ne vole pas bien haut.
J'ai bien conscience que j'ai fait une prépa élitiste suivie d'une école de haute voltige, et que je ne suis donc pas tout à fait au courant de comment ça se passe dans les universités françaises, et que si ça se trouve c'est pas beaucoup mieux, mais même après deux ans d'expérience, les devoirs à la maison des étudiants américains me tuent toujours autant.
D'abord, la présentation. Bon. J'avoue, le prof de physique qui collait des marges au scotch noir si tu ne lui en laissais pas d'assez large pour écrire ses commentaires, c'était peut-être un peu abusif, En même temps, c'était pas le mien, mais je faisais des marges quand même en prépa. A la règle, même. Ici j'ai même pas trouvé de règle à la librairie-papèterie du campus, c'est pour te dire, mais oh quand je souligne j'utilise un crayon pour me guider. Parfois. Mais tout de même sans rentrer dans ce genre d'extrêmes, les devoirs qu'on me rend sont dans leur immense majorité, comment dire, crades, ce qui me donne le sentiment que ceux qui me rendent des copies propres, ce n'est pas parce qu'ils ont appris à leurs dépends à respecter un poil le correcteur, c'est juste parce qu'ils sont maniaques dans le dedans de leur tête.
Il faut bien dire qu'il y a une énorme différence culturelle entre la France et les États-Unis dont on ne parle pas assez : le stylo plume. Ce qui, parmi les collégiens, lycéens, étudiants et même souvent professeurs français est un outil banal (suffisamment, par exemple, pour qu'il s'en vende des à pas bien cher chez Gibert-Joseph et que la plupart des gens savent ce qu'est un effaceur à encre ‒ la plupart des gens, sauf mon correcteur orthographique, pardon), est aux États-Unis un objet luxueux réservé aux écritures les plus raffinées. Et si quelques étudiants se servent sans complexe d'un stylo bille ou feutre, la plupart d'entre eux ne se séparent jamais de leur crayon à papier (ou crayon gris, crayon-mine, crayon de bois, tu vas pas me saouler avec ta Différence Régionale, tu as très bien compris de quoi je parlais). Et le crayon à papier, il faut bien le dire, c'est très vite bien sale. Ce qui pour quelqu'un qui a grandi en voyant des profs refuser de corriger des copies écrites au crayon parce que le crayon, c'est pour brouillonner, et que le « propre », c'est au stylo, est un peu dur à encaisser.
L'autre aspect de la présentation de ces devoirs qui m'estomaque, c'est l'utilisation du papier. D'une part, les ennemis de la nature, ceux qui s'en foutent de gâcher de la ramette et qui de toute façon écrivent gros (c'est pas moi qui vais leur en vouloir pour ça...) et qui te rendent un solide trente pages agrafées en trois fois ; de l'autre, les radins écolos, qui écrivent en pattes de mouche, probablement sous une loupe, et dont l'honneur serait bafoué s'ils rendaient un devoir en plus de trois feuilles. Ceux-là sont bien évidemment les pires. D'une, ils écrivent sur deux colonnes. Mais (probablement comme ils n'ont pas de règle) ils ne se fendent pas d'un trait de séparation entre les deux dites colonnes. D'où, correction d'exercice, perplexité, fronçage de sourcil, clignage des yeux, oh ! ah bah c'est pas le même exercice sur la partie de droite ! De deux, comme le papier américain a une tendance à l'anorexie mais que jamais, jamais ils ne pourront se résoudre à n'écrire que sur le recto de leurs feuillets, soit ils n'appuient pas sur leur crayon (et le crayon pas appuyé, c'est presque aussi miaou que la craie pas appuyée sur le tableau noir), soit ils appuient et ça traverse à qui mieux mieux. Non, pas l'encre, vu qu'ils crayonnent, mais le relief du coup de crayon. Même des fois ça fait des trous dans les pages, le pied intégral.
Je ne parle même pas des élèves qui ne marquent pas le numéro du problème qu'ils résolvent, ni de ceux qui oublient d'écrire leur nom sur la copie : eux, ce sont de grands esprits mal compris.
Et pour le contenu, je te la fais brève :
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à construire une phrase ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à répondre à une question par une phrase plutôt que par un mot ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à interpréter un résultat mathématique ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à interpréter un résultat mathématique, même si on le lui demande explicitement ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à justifier ses réponses ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à citer un théorème ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à détailler ses calculs ;
- l'élève américain n'a manifestement jamais appris à essayer de connecter trois neurones pour faire preuve d'intuition scientifique ;
- l'élève américain est un peu un gland, parfois, quand même.
Si par hasard tu as déjà donné des TD (ou des cours, je ne suis pas sectaire) en université en France, fais-moi savoir si je suis une snobinarde élitiste ou si, non, vraiment, les miens, ils sont un peu désespérants.
Et pour conclure, la minute du rire réprimé de vendredi matin (âmes non scientifiques s'abstenir, mais nul besoin d'avoir fait des études de mathématique avancées pour suivre, j'ai fait mourir de rire un prof d'éducation physique avec) :
Situation : Les élèves (tous entre leur première et leur quatrième année de fac, dans le but d'obtenir une licence soit en maths, soit en informatique) passent un examen que je surveille avec leur professeur. L'un d'entre eux m'appelle afin de me poser une question sur un problème qui met en jeu la fonction (1/x²) pour x > 10. Il a affiché la courbe (1/x²) sur sa calculatrice et il voit quelque chose qu'il ressemble à ça.
Dialogue :
Lui, affolé : « Mais pour x > 10, ça fait 0 ! »
Moi, interloquée : « Mais non, ça s'approche de 0, mais 1/x², ça ne fait jamais 0 ! »
Lui, faisant bouger le curseur sur sa courbe et s'arrêtant à un point dont l'ordonnée avoisine 0.0069 : « Ben ça fait presque 0, ça. »
Moi, me pinçant l'intérieur du coude : « Oui, ben tout est dans le presque, hein. »
D'ailleurs, je pense qu'il va presque réussir l'examen.
Je n'ai rien contre les gens qui ne pigent rien aux maths. Encore que comprendre que quand tu remplace x par un nombre dans 1/x², c'est d'autant plus petit que le nombre est grand mais ça n'atteint jamais zéro, ça me semble relever du bon sens plutôt que des maths ; ceci dit on sait les dégâts que quelques années entre les mains de mauvais profs de maths peuvent faire à un jeune esprit en formation. Mais qu'est-ce qu'ils foutent en licence maths/info, je te le demande !
Assez pleuré ri maintenant, j'ai un papier de 29 pages à réécrire en anglais correct et un co-auteur qui ne veut même pas me croire qu'il est moche, son anglais. Le mec a publié un recueil de poésie et environ six fois plus d'articles scientifiques que moi, mais il n'est pas foutu de voir que son texte ne donne carrément pas envie, en plus d'être haché à tronçonneuse et d'avoir des connecteurs logiques inappropriés aux places les moins congrues. Ça me met d'humeur tellement charmante qu'on m'a payé une bière pour me détendre à midi (elle ne m'a fait aucun effet et ensuite j'ai corrigé des copies, tu parles d'une détente ‒ le fait que j'aie accepté est cependant révélateur de mon envie de taper très fort sur quelqu'un).