Et la veille, on a fait visionage de débat. C'est vachement chouette avec des copains qui pensent en gros pareil que toi (y avait bien une fille qui était loin d'être aussi déchaînée que nous, bien que pro-Obama, dommage pour elle ; ceci dit c'est peut-être parce qu'elle nous connait à peine et que ce n'est pas forcément la façon la plus évidente de rencontrer la bande de potes de ton nouveau petit ami, d'accord). C'est chouette, les copains politisés, qui passent quelques heures chaque dimanche à passer des coups de fils au nom de la campagne d'Obama, et dans la bouche desquels c'est un compliment que de t'appeler "the crazy French liberal" (on se rappellera que « liberal » et « libéral », de même que « socialist » et « socialiste », n'ont pas vraiment les mêmes connotations de chaque côté de l'Atlantique). Je n'ai pas, comme Otir, une horde de lecteurs impatients me demandant d'écrire sur le sujet (personne ne me demande jamais d'écrire sur quoi que ce soit, certes), mais il faut vraiment que je ponde ce truc maintenant sous peine d'avoir tout oublié.

Vous avez probablement déjà lu que Palin a dépassé toutes les attentes, ce qui au vu de leur niveau au ras des marguerites est quand même loin d'être un exploit. Sans parler du fait que c'est bien triste que ce soit le mieux que l'on puisse dire à son sujet.

Nous avons donc appris avec stupéfaction que Palin est capable de former une phrase syntaxiquement correcte et de la finir sans lire un téléprompteur. Cela n'empêche pas le message de manquer un peu de substance, ni son image de continuer de m'être désagréable. Clins d'œil à la caméra, un baiser envoyé à la foule, langage familier (ya betcha!) et, franchement, c'est quoi ces manières de mettre son index au coin de ses lèvres en disant que l'on voit bien qu'elle ne vient pas de la machinerie de Washington (pauvre d'elle) ?

Rich Lowry, dans un journal fortement Républicain, en dit ceci (source):

I'm sure I'm not the only male in America who, when Palin dropped her first wink, sat up a little straighter on the couch and said, "Hey, I think she just winked at me." And her smile. By the end, when she clearly knew she was doing well, it was so sparkling it was almost mesmerizing. It sent little starbursts through the screen and ricocheting around the living rooms of America.

Je suis sûre de ne pas être le seul homme en Amérique qui, quand Palin a fait son premier clin d'œil, s'est redressé sur son canapé et a dit « Eh, je crois qu'elle vient de me faire un clin d'œil ». Et son sourire. Vers la fin, quand elle savait clairement qu'elle s'en sortait bien, il brillait tellement que c'en était presque hypnotique. Il envoyait des étincelles à travers l'écran qui ricochaient autour des salons d'Amérique.

Je suis d'accord avec Bill Maher, ce type a vraiment besoin de tirer un coup. Dans le salon dans lequel j'étais, c'était plutôt cris d'incrédulité « Elle a vraiment fait un clin d'œil, là ? Elle se croit où ? C'est plus l'élection de Miss Alaska, là ! » et indignation que redressage et étincelles...

Je reconnais néanmoins qu'elle est forte en débats, la dame, pour exactement la raison qui la rend nulle en interviews : parce qu'elle se débrouille très bien pour ne pas répondre à la question posée. Quelqu'un qui est capable de te parler de l'Alaska au milieu d'une discussion sur le Moyen-Orient, ça force l'admiration. (Remarque, c'est peut-être aussi inné que chez ma grand-mère, qui trouve toujours une anecdote familiale à te raconter quel que soit le sujet que tu évoques.) Par contre, une heure et demie de ce régime, y a pas, c'est épuisant. Quand on en arrive à la question « avez-vous déjà été amenée à changer d'avis sur un sujet important ? » et qu'elle répond n'avoir jamais eu à faire de compromis, l'envie de sortir son stylo rouge et d'écrire en lettres majuscules « répondre à la question » se fait extrêmement pressante... mais M. ne voulait pas que j'écrive sur son téléviseur. Soit.

Biden, lui, n'a eu de désagréable que son irritante habitude de parler de lui-même à la troisième personne. Il est parfois fanfaron (comme quand il « avoue » avoir eu raison), mais ça ne me dérange guère, car je trouve après tout qu'il a d'excellente raison de fanfaronner et ne nous trompons pas, il est là pour se vendre. Reste, sur le plan du contenu, le moment où, après avoir dit qu'il était pour accorder aux couples homosexuels les mêmes droits qu'aux couples hétérosexuels, il a clairement martelé que Barack Obama et lui sont opposés au mariage homosexuel. « Bien sûr que non vous n'êtes pas opposés ! Vous n'osez juste pas le dire ! » s'est exclamé l'hôte de notre debate party, se retenant de justesse de balancer une cannette de bière dans son téléviseur (lequel n'a donc échappé que de justesse à de multiples tourments).

Bien sûr, je n'ai pas été capable de tout suivre mot pour mot, entre tous les commentaires qui se faisaient dans la pièce et le bruit des chips que l'on croque, mais l'ambiance était formidable. Nous avons bruyamment applaudi Biden a plusieurs reprises (notamment quand il a qualifié le plan santé de McCain d'ultimate bridge to nowhere, un « pont pour nulle part ultime »), et dit beaucoup de mal de Palin, ce qui, honnêtement, n'est pas difficile et ne demande même pas d'être de mauvaise foi.

Un des plus savoureux moments, cependant, était de regarder l'analyse post-débat. Pas tellement pour s'entendre dire ce que l'on venait de regarder, mais plutôt en zappant entre Fox News (chaîne notoirement à la solde Républicaine) et CNN (souvent surnommée Clinton News Network)... et en comparant leurs sélections d'électeurs indécis.

« Avant le débat, nous avions ici une salle d'électeurs indépendants, dont la moitié avait voté pour Kerry et l'autre moitié pour Bush en 2004. Qui a l'intention de voter McCain le 4 novembre ? » entend-on sur Fox News. Une écrasante majorité de mains se lève.

« Qui pense que Barack Obama va remporter l'élection ? » demande la présentatrice sur CNN. La majorité de ses électeurs indécis lève le bras. « Qui a l'intention de voter McCain ? ». Trois personnes lèvent la main. « Ah mais vous, vous êtes peut-être indécise, mais vous êtes encartée au parti Républicain ! » s'exclame la présentatrice à l'intention de l'une d'entre elle.

Sur quoi nous sommes partis dîner, and the rest, as they say, is history.