MLK Day
C’était le soir béni où l’air était tiède et sentait la montée de sève. Le soir attendu où la fenêtre était enfin ouverte et où je brûlais d’envie d’être en manches courtes. Dans les hauts-parleurs dont le volume était réglé légèrement plus haut qu'à l'habitude, Buddy Guy se lamentait sur le sort de Louise McGhee (à moins que ce n'ait été celui de Sally Mae). C'était tout récemment : la Californie du sud a une sorte de pré-printemps en janvier, qui fait éclore toutes sortes de fleur et pointer le nez à nos premières tomates de balcon.
C'était le soir béni où je savais que j'allais pouvoir remiser au placard pour quelques semaines manches longues, bottes et autres écharpes. Un de ces rares soirs où je n'avais pas l'impression que quoi que ce soit d'autre que d'écouter du blues trop fort la fenêtre ouverte en racontant des bêtises ne requière mon attention immédiate. Le soir où R. m'a déclaré pour la millième fois sans plus y croire que j'allais essayer le tango argentin et où, à sa grande surprise, j'ai répondu que oui, bien sûr, j'allais essayer le tango argentin. Ce genre de soir léger et insouciant.
C'était aussi le soir où l'on m'a transmis les derniers chiffres sur les sans-abri. On oublie trop souvent, dans le comté le plus riche de l'état le plus riche du pays le plus riche du monde, qu'il y a des gens qui n'ont pas où dormir. Des gens qui, pour la majorité, travaillent, mais pour un salaire trop maigre pour leur permettre de se loger. Des gens dont les enfants n'invitent jamais leurs copains d'école à la maison. Et que non seulement, il y en a, mais il y en a beaucoup. Moi, ce soir-là, tout en me plaignant du prix des œufs et du lait (qui ne cessent d'augmenter, contrairement à mon salaire), j'avais oublié aussi. Malgré l'amie qui a travaillé pendant un an dans un des centres pour sans-abri et déversait à chaque conversation son trop plein de volontaires plus intéressés par l'image charitablement importante qu'ils peuvent donner d'eux que véritablement généreux, de vêtements de grands couturiers donnés à peine portés parce que vous comprenez, je ne peux plus porter ça, mais si ça peut faire plaisir à un pauvre, de gamins en larmes parce que leurs camarades ont découvert qu'ils dormaient dans un van, de parents célibataires qui n'arrivent toujours pas à joindre les deux bouts malgré leurs deux emplois.
C'était le soir où j'ai baissé le volume et répondu que, oui, je serai là le soir du 19 janvier. Le troisième lundi du mois de janvier, où l'on célèbre l'anniversaire de la naissance de Martin Luther King, Jr. Ce jour où l'on se doit de faire quelque chose pour la communauté. Un espèce de téléthon géant, étendu à toutes les charités possibles et imaginables. C'est qu'il ne faut pas oublier que le service communautaire a une place beaucoup plus importante aux États-Unis qu'en France, pays où l'on compte sur le gouvernement pour s'occuper des nécessiteux. Malgré la crise économique dont on nous rebat les oreilles, ou peut-être un peu grâce à elle, finalement, qui aura aidé nombre d'entre nous à prendre conscience de leur vulnérabilité et de la réalité de la précarité des plus démunis[1], on s'attend à ce que la collecte de vêtements et de nourriture organisée par le centre ait un grand succès.
Ce soir, donc, quand la collecte sera terminée, on s'entassera dans une vieille Ford pour nous rendre au centre où nous passerons une heure ou deux à trier des vêtements. Les tâchés, déchirés, troués, qui partent directement à la poubelle (car, aussi incroyable que cela paraisse, les pauvres aussi ont une dignité). Les sacs de marque, robes de soirées griffées, et autres escarpins deux fois portés, qui termineront chez Goodwill, où ils seront revendus au profit de diverses actions caritatives. Le reste, enfin, qui sera simplement donné ou revendu à très bas prix aux gens dans le besoin.
Par ailleurs, il faudra que je me décide : Orphadon, le Secours Populaire, la Croix Rouge, Arc-en-Ciel ? Toutes les quatre ou seulement certaines ? Quel montant ?
Et puis il ne faudrait pas oublier Dotclear, non plus.
Ce qui conclut ma participation au septième grain des sabliers givrés organisés par Kozlika, sur une amorce proposée par Lyjazz. Et sachez que j'ai dû venir exprès au labo pour pouvoir publier dans les temps, ma connexion Internet ayant mouru ce matin !
Le billet d'origine était Apocalypse Tomorrow, écrit par David sur Tangible.
Notes
[1] J'ai une théorie selon laquelle les gens les moins riches sont souvent (attention, pas toujours non plus) les plus généreux