Le monde du travail me donne des suées froides
Je ne crois pas avoir raconté ici que j'allais bientôt participer à une grande réunion de chimistes du monde entier (enfin, surtout des États-Unis, mais du point de vue américain c'est un peu pareil, puis de toute façon, à plus de dix mille participants, on ne fait pas la fine bouche). Non parce que je n'en suis pas contente ; au contraire, je suis ravie : tous frais payés par une bourse que je suis quasiment certaine de recevoir (non parce que j'ai les chevilles qui enflent, mais parce qu'il y a exactement autant de postulants que de bourses), deux sessions avec poster et une présentation orale, l'occasion d'engraisser mon carnet d'adresse et de passer des journées entières avec des gens qui croient que je comprend quelque chose quand ils parlent de chimie, bref, le pied. Mais plutôt parce que j'essaie d'oublier que la chose se passe à Salt Lake City. En plein cœur du pays mormon, des montagnes, de la neige et du froid. Une idée de génie.
Les mormons, ils me foutent un peu la trouille. L'Église des Saints du Dernier Jours, en anglais Later Day Saints, abrégé LDS, et non pas LSD, ça peut porter à confusion, un truc inventé au XIXème siècle, qui n'a pas publié l'état de ses finances depuis environ cinquante ans, et qui faisait la conquête de l'Utah (que personne de sain d'esprit ne voudrait conquérir) au moment où Paris fermentait la révolution de 1848, ça me fait un peu froid dans le dos.
Toujours est-il que la date approche à grands pas, et que j'ai fini par réaliser, au détour d'une conversation dans le couloir du labo, qu'il s'agissait d'une conférence majoritairement fréquentée par des industriels, ce qui fait que le costume de ville y est de mise.
Argh.
Krazy Kitty en costume de ville : j'en rigole d'avance. Jaune. J'ai fait l'inventaire de mon placard à la recherche d'habits convenables, dans des couleurs pas trop pétantes (jaune canari, orange vif, rouge carmin, turquoise, ça, j'ai ; c'est le pastel qui manque). Bilan : une chemise rose pâle et une chemise lilas qui bée un peu trop au niveau de la poitrine si je ne me tiens pas absolument droite. Une veste de costume noire, un peu trop large, un peu trop courte. Deux pantalons plus ou moins assortis, dont un qui ne me plait plus depuis des années. C'est un peu maigre.
Sans parler du fait que je n'ai pas de manteau en dehors de mon blouson de ski qui est tout sauf classe, et qu'avec une température autour de 8°C je risque d'avoir un peu frais en simple costume de ville.
Autrement dit il est temps d'aller acheter des fringues. Enfin, non, pas des fringues, des habits professionnels. Ce qui vu les limites combinées de mon budget et de ma patience dans un centre commercial est prometteur de longues heures de souffrance. Sans parler de la mononucléose qui refuse de s'en aller et crée des vagues de fatigue qui me submergent régulièrement. Mon humeur en accordéon varie d'ailleurs au gré de ces pics d'énergie, un coup la pêche, prête à conquérir le monde, un coup le disque dur qui déraille, le spleen, ce qui va bien avec la condition affaiblie de ma rate, qui si l'on en croit les Grecs et Baudelaire réunis, me verse un jour noir plus triste que les nuits, enfin à condition d'arriver à croire des gens créés par un type qui se fait littéralement bouffer le foie par un aigle chaque jour depuis quelques milliers d'années, oui, Prométhée, c'est de toi que je parle. Chez moi le spleen se manifeste par une envie folle de me balader main dans la main avec un amoureux dans les rues de Paris ou sur une plage de rochers, envie absolument inassouvissable quand on n'a pas d'amoureux, qu'on habite à neuf mille kilomètres de Paris et que le seul océan du coin s'évertue à être bordé de sable fin.
Je préfèrerais donc largement passer mes journées à dormir et rêver, telle Cidrolin, que je vis au moyen-âge, époque à laquelle les rues de Paris étaient certainement moins jolies qu'aujourd'hui et où on ne se préoccupait certainement pas d'accoutrement professionnel, d'orbitales atomiques, de mouvements d'électrons ni de réseaux de neurones récalcitrants qui emballent tant l'imagination de Fanette. Ni de femmes qui réfléchissent, d'ailleurs. Caramba.
Ce qui conclut, enfin, ma participation au dis-moi dix mots du 14 février. Sachez aussi que depuis que j'ai commencé à laborieusement élaborer (oui, ça fait beaucoup de travail ; justement), j'ai fait l'acquisition via la boutique en ligne d'un de mes magasins préférés d'un costume qui me va plutôt bien pour avoir été acheté par correspondance (il faudrait faire un ourlet ; mais j'ai peur de le rater ; et je ne sais pas où faire faire des retouches dans cette ville ; et puis après tout je ne marche pas dessus avec les chaussures à talons que je compte porter) et de deux chemises fort présentables dans des tons layette du meilleur acabit.