Moominmaniac
Il y a longtemps que je comptais te parler des Moomins (qui s'appelaient les Moumines en français quand j'étais gosse, car à l'époque, les gamins ne savaient pas parler anglais. Ils ne savent toujours pas, mais c'est pas grave). Quand j'étais petite, tout ce qui m'intéressait au sujet des Moumines, c'était de dévorer tous les tomes de ces romans illustrés qui s'empoussiéraient à la bibliothèque municipale (j'étais une fervente cliente de la bibliothèque municipale à laquelle je fournissais une part non négligeable de son activité, ma mère avait d'ailleurs dû s'inscrire elle-même pour que je puisse emprunter des livres en utilisant sa carte en sus de la mienne, pour tout te dire, j'étais un ver de livre comme on dit en anglais et c'était vachement chouette, de n'avoir rien d'autre à faire que de passer mon temps assise sur mes fesses avec un bouquin).
Bref.
Je ne savais pas que Tove Jansson, leur auteur, était Finlandaise. Je ne savais pas que c'était une femme. Je ne savais probablement pas prononcer son nom et je n'étais jamais trop sûre de l'ordre dans lequel placer Norvège, Suède et Finlande sur la carte. Non. Tout ce qui m'intéressait, c'était les aventures de Moumine, ses histoires d'amour avec la demoiselle Snorque, les incongruités de Mume et de la petite Mû, et sa délicieuse entente avec Papa Moumine et Maman Moumine (ses parents).
Je me moquais du fait que des Japonais se soient emparés du personnage pour le transformer en dessin animé, je ne savais pas qu'un immense parc d'attraction leur était dédié en Finlande, et je me foutais de Tove Jansson elle-même comme de ma première colique. Et j'ai soigneusement oublié les Moumine pour une bonne quinzaine d'années.
Jusqu'à ce que je retombe par hasard dessus lors de mes pérégrinations internautes. Et que je les colle dans un passionnant billet sur les liserons livres en précisant que découvrir les BD correspondant aux romans me plongerait probablement dans d'insondables abîmes de félicité en m'offrant à la fois un retour en enfance et de délectables graphismes pour faire briller mes mirettes (mais pas en autant de mots). Et qu'Alexandre, qui ne peut pas s'empêcher de crapahuter un peu partout en Europe, n'aille en Finlande, en ramène le premier volume des aventures de Moumine en BD, et que je piaule chez lui que trop je suis jalouse et je le veux pour Noël.
Bon, au cas où tu n'aurais pas suivi la chronologie, ça, c'était début juillet.
Tu penses bien qu'en décembre, la substance blanche qui me sert de cerveau avait complètement oublié toute l'affaire et se contentait de rêvasser de temps en temps devant les albums que j'avais sagement mis en attente dans une des multiples listes de la librairie en ligne la plus célèbre de tous les temps[1].
Du coup, j'ai failli m'étrangler avec mon chewing-gum sous le coup de la surprise quand j'ai (délicatement) défait l'emballage de papier kraft et que j'ai vu ça :
Heureusement, j'avais pas de chewing-gum. Ceci dit, on était à République un vendredi soir, les forces de l'ordre s'employaient diligemment[2] à mettre de l'ordre dans la station de métro, je suis sure que personne ne m'aurait laissé m'asphyxier. J'ai donc sautillé de joie comme l'occasion le demandait (et autant que le poids de mes pulls, manteaux, sac à main, et hernie discale me le permettait, c'est à dire pas très haut, mais en même temps, \o/ _o/ \o/ \o_ _o_ |o|, chorégraphie Gabriel, c'est plus facile à écrire qu'à faire dans une station de métro pleine de diligentes forces de l'ordre[3]).
Je suis donc partie dans le métro en serrant mon précieux recueil contre moi (le métro, le vendredi soir, ça craint, c'est plein de forces de l'ordre, on sait pas ce qui peut t'arriver, et te faire taxer ton Complete Tove Jansson Comic Strip importé de Finlande avant même de l'avoir lu, ce serait très triste). Une fois assise dans ledit métro (même que j'étais dans la bonne direction et que je ne me suis pas retrouvée à Balard à minuit alors que j'avais un train pour Lyon à attraper le lendemain matin, qu'il était hors de question que je coure avec ma valoche, et que d'ailleurs ma valoche se distinguait par son absolue non-complétion et son état de vide caractérisé), je me suis risquée à ouvrir le bouquin (en jetant des coups d'œil furtifs à droite et à gauche pour repérer les éventuels voleurs de recueils de Moumine et égorgeurs d'enfants) et à commencer à le lire (histoire de ne pas m'endormir sur place).
Ben j'ai failli rater ma station, didonc, tellement c'était chouette.
(Faut dire que c'est ballot, la ligne 8, elle crie pas "Reuilly-Diderot. Reuilly. Diderot." d'un ton plein de reproches quand tu arrives. Bon voilà maintenant j'ai livré à la blogosphère ousque je logeais, c'est horrible, nous sommes maudits sur douze générations. Par contre je te préviens c'est pas super fréquentable comme quartier le soir, en fait, sous ses dehors cossus. Bon, d'accord, bobo. Enfin, douzième quoi.)
Puis j'ai dû laisser le recueil en plan quelque temps, et attendre la sérénité de mon humble demeure ma chambre à moi que j'ai avant de prendre le temps de savourer les cases une par une et de tourner, le cœur un peu lourd, la dernière page. Mais depuis il décore mon étagère en cachant des livres plein de maths d'une autre esthétique, et je me promettais d'écrire quelques phrases à son sujet.
Et puis la punkette est venue crier dans mon pigeon que Moomin et les brigands venait d'être primé à Angoulême. Le soir même, je me devais de sauter sur mon clavier et de te parler enfin de l'oeuvre d'art. Bref, je cause, je cause, c'est tout ce que je sais faire[4]. Et je romance un peu, d'accord, mais que veux-tu, je suis de Marseille moi. Presque. Bon, cent quarante bornes, c'est un saut de lapin. Tu vois, je t'avais dit.
Et je n'ai toujours pas parlé de l'univers de Tove Jansson. Un univers doux, drôle, et poétique, aux traits ronds et épurés, une retraite calme où s'abandonner à des joies en demi-songe comme de s'allonger sur un pont et de regarder l'eau couler. Un univers bohème, à l'image de la famille de l'auteur, dans lequel se réfugier loin des contraintes vides de sens du monde moderne et s'adonner au plaisir de saisir l'instant[5]. Un univers où Moumine, malgré ses aventures tumultueuses dans de romantiques paysages finlandais ou en proie aux starlettes et autres richissimes nobles à particules de la Côte d'Azur, en revient toujours à seulement désirer vivre en paix, planter des pommes de terre, et rêver.
Quatorze paragraphes d'introduction pour les quatre phrases que je voulais vraiment t'écrire au sujet de Tove Jansson et des Moumines, avoue, ce soir, j'ai fait fort.
Et si tu as omis de m'offrir un cadeau pour mon anniversaire / Noël / le fait que je sois absolument merveilleuse / toute autre raison valable ou non, le volume 2 est sorti en octobre.
Notes
[1] Tu remarqueras qu'avant l'an 2000 il n'y avait pas des masses de librairies en ligne, célèbre ou pas, ce qui restreint considérablement la perspective de mon "de tous les temps".
[2] ou plutôt manu militari, d'ailleurs
[3] Voilà. Je suis une geekette. Tout est dit. Même Facebook confirme que je suis plus geek que 80% de mes amis, et si Facebook le dit, c'est que ça doit être vrai.
[4] Tu as reconnu Zazie dans le métro, avance jusqu'à la banque, ne passe pas par la case prison, et arrête de nous casser les choses avec la rue de la Paix veux-tu.
[5] cave canem, hmm, pardon, carpe diem, désolée, sérieuse pendant deux phrases, c'était trop dur pour moi.