Manifestation Olympique
Pour ceux que la complaisance des gouvernements occidentaux envers la Chine chatouille et gratouille là où ça dérange, Reporter Sans Frontières organise une cybermanif devant le stade olympique de Pékin.
Je recommande aussi aux anglophones la lecture de l'article The Olympics: Unveiling Police State 2.0 par Naomi Klein dans le Huffington Post ; traduction (approximative, de mes blanches mains, etc...) ci-dessous. Un arrière-goût de théorie du complot peut-être, bien évidemment teinté de l'équation « communisme = le Mal » dans laquelle baignent les Américains depuis leur plus tendre enfance, mais quelques arguments non négligeables...
Les Jeux Olympiques Présentent : l'État Policier 2.0 (par Naomi Klein)
Jusqu'à présent, les Jeux Olympiques ont été une invitation ouverte à dire du mal de la Chine, une excuse sans fond permettant aux journalistes occidentaux de s'attaquer aux Cocos sur tous les sujets depuis la censure de l'Internet au Darfour. Le gouvernement chinois, cependant, est resté étonnamment imperturbable tout au long de ces reportages désagréables. C'est parce qu'il a fait un pari : quand les cérémonies d'ouvertures commenceront vendredi, vous oublierez instantanément tous ces désagréments alors que votre cerveau sera remis à zéro par l'extravagance culturo-athlético-politique que seront les Jeux de Pékin.
Que cela vous plaise ou non, vous êtes sur le point d'être grandement impressionnés par la pure génialité de la Chine.
Les jeux ont été présentés comme le « bal des débutantes » de la Chine dans le monde. Ils ont beaucoup plus d'importance que ça. Ces Jeux sont le bal des débutantes pour une manière inconfortablement efficace d'organiser la société, que la Chine a perfectionné au long des trois dernières décades, et est enfin prête à nous présenter. C'est un puissant hybride des plus solides outils politiques du communisme autoritaire — planification centrale, répression sans merci, surveillance constante — harnachée de sorte à servir les buts du capitalisme mondial. Certains l'appellent « capitalisme autoritaire », d'autres « Stalinisme de marché », je préfère personnellement « McCommunisme ».
Les Jeux de Pékins sont eux-mêmes la parfaite expression de ce système hybride. Par d'extraordinaires prouesses de gouvernement autoritaire, l'état Chinois a construit de sensationnels nouveaux stades, autoroutes et voies de chemin de fer — le tout en un temps record. Il a rasé des quartiers entiers, bordé les rues d'arbres et de fleurs, et, grâce à une campagne « anti-crachats », nettoyé les trottoirs de la salive qui les couvrait. Le Parti Communiste de Chine a même essayé de rendre bleu un ciel terne, en ordonnant aux industries lourdes de cesser de produire pendant un mois — une sorte de grève générale ordonnée par le gouvernement.
Quant à ces citoyens chinois qui pourraient contredire le message gouvernemental pendant les Jeux — activistes tibétains, militants des droits de l'homme, blogueurs mécontents — des centaines d'entre eux ont été jetés en prisons ces derniers mois. Quiconque nourrirait encore des vues de manifestations sera sans doute aucun repéré par l'une des 300 000 caméras de surveillance de Pékin et promptement cueilli par un officier de sécurité ; il y en aurait 100 000 de service pour les Jeux Olympiques.
Le but de toute cette organisation centrale et de cet espionnage n'est pas de célébrer la gloire du Communisme, quel que soit le nom que le parti gouverneur de la Chine se donne. C'est de créer le cocon de consommation ultime pour les cartes Visas, chaussures de sport Adidas, téléphones cellulaires China Mobile, Happy Meals de McDonalds, bière Tsingtao et livraisons UPS — pour ne nommer que quelques uns des sponsors officiels des Jeux. Mais le nouveau marché le plus brûlant est celui de la surveillance elle-même. Contrairement aux états policiers d'Europe de l'Est et à l'Union Soviétique, la Chine a construit un État Policier 2.0, une affaire entièrement tournée vers le profit qui est la dernière frontière avant le Capitalisme du Désastre[1].
Les corporations chinoises financées par des fonds de couverture américains, de même que quelques unes des corporations les plus puissantes d'Amérique — Cisco, General Electrics, Honeywell, Google — on travaillé de mèche avec le gouvernement chinois pour rendre ce moment possible : monter en réseau les caméras en circuit fermé qui observent depuis un lampadaire sur deux, construire le « Grand Pare-feu »[2] qui permet de surveiller Internet à distance, et concevoir ces moteurs de recherche auto-censeurs.
D'ici à l'année prochaine, le marché de la sécurité interne de la Chine est destiné à valoir 33 milliards de dollars. Plusieurs des plus grands acteurs chinois du domaine sont récemment rentrés en bourse sur les marchés d'échange U.S., espérant tirer profit du fait que, dans ces temps instables, des actions dans la sécurité et la défense sont considérées comme un pari certain. China Information Security Technology, par exemple, est maintenant listée au NASDAQ et China Security and Surveillance au NSYE. Un petit groupe de fonds de couverture U.S. a permis de lancer ces entreprises, investissant plus de 150 millions de dollars dans les deux dernières années. Les retours ont été frappants. Entre octobre 2006 et octobre 2007, le cours de China Security and Surveillance a grimpé de 306 pour cent.
La plupart des somptueuses dépenses du gouvernement chinois pour des caméras et autres équipements de surveillance ont été regroupées sous le drapeau de la « Sécurité Olympique ». Mais combien d'argent est vraiment nécessaire à sécuriser un événement sportif ? Le prix a été fixé à un étourdissant 12 milliards de dollars — pour mettre cela en perspective, Salt Lake City, qui accueillait les Jeux Olympiques d'Hiver juste cinq mois après le 11 septembre, avait dépensé 315 millions de dollars en sécurité. Athènes a dépensé environ 1.5 milliards de dollars en 2004. Nombre d'associations pour la défense des droits de l'homme ont fait remarquer que la modernisation de la sécurité chinoise s'étend bien loin de Pékin : il y a désormais 660 villes étiquetées « sûres » à travers le pays, des municipalités qui ont été choisies pour recevoir de nouvelles caméras de surveillance et autres équipements d'espionnage. Et bien sûr tous les équipements achetés au nom de la sécurité olympique — scanners d'iris, « robots anti-émeutes » et logiciels de reconnaissance de visages — resteront en Chine bien après la fin des Jeux, libre d'être utilisés en direction des ouvriers en guerre et des manifestants ruraux.
Ce que les Jeux Olympiques ont fourni aux compagnies occidentales est une savoureuse couverture pour cette glaçante entreprise. Depuis le massacre de Tien An Men en 1989, les entreprises Américaines ne sont plus autorisées à vendre des équipements et technologies policiers à la Chine, car les législateur craignaient qu'ils ne soient, de nouveau, dirigés à des manifestants pacifiques. Cette loi a été complètement ignorée à l'approche des Jeux Olympiques, au cours de laquelle, au nom de la sécurité des athlètes et VIP (parmi lesquels Georges W. Bush), aucun nouveau jouet n'a été refusé à l'état chinois.
Il y a ici une ironie amère. Quand Pékin a été nominée pour les Jeux il y a sept ans, la théorie était que d'être sous l'examen du regard international forcerait le gouvernement chinois à donner plus de droits et de liberté à son peuple. Au lieu de quoi, les Jeux Olympiques ont permis au régime de moderniser massivement ses systèmes de contrôle et répression de la population. Et souvenez-vous de quand les compagnies occidentales soutenaient qu'en faisant des affaires avec la Chine, elles répandaient en fait liberté et démocratie. Nous voyons maintenant l'inverse : les investissements en équipements de surveillance et de censure aident Pékin à activement réprimer une nouvelle génération d'activistes avant qu'elle ait même eu le temps de s'organiser en un mouvement de masse.
Les nombres qui accompagnent cette tendance sont effrayants. En avril 2007, des fonctionnaires de 13 provinces ont organisé une réunion pour faire leur rapport sur les performances de leur nouvelles mesures de sécurité. Dans la province de Jiangsu, qui, selon le South China Morning Post, utilise « de l'intelligence artificielle pour étendre et améliorer le système de surveillance existant », le nombre de manifestations et d'émeutes à « diminué de 44 pour cent l'an dernier ». Dans la province de Zhejiang, où de nouveaux systèmes de surveillance électronique ont été installés, il a diminué de 30 pour cent. Dans le Shannxi, « les incidents de masses » — comprendre manifestations — ont diminué de 27 pour cent en un an. Dong Lei, l'adjoint au chef du parti de la province, en a partiellement donné le crédit à un énorme investissement en caméras de sécurité à travers la province. « Nôtre but est d'arriver à une capacité de surveillance par tous temps et toute la journée » a-t-il dit à l'assemblée.
Les activistes en Chine se trouvent maintenant sous une pression intense, incapable de fonctionner même dans la capacité limité qui était la leur il y a un an. Les cafés Internet sont remplis de caméras de surveillance, et la navigation est surveillée de près. Dans les bureaux d'une association de droit des travailleurs à Hong Kong, j'ai rencontré le bien connu dissident chinois Jun Tao. Il venait de fuir le continent en raison du harcèlement persistant de la police. Après des décennies à se battre pour la démocratie et les droits de l'homme, il dit que les nouvelles technologies de surveillance ont rendu « impossible de continuer à fonctionner en Chine ».
Il est facile de voir les dangers d'une surveillance de haute technologie dans la lointaine Chine, alors que les conséquences pour des gens comme Jun sont si sévères. Il est plus difficile de voir le danger quand ces mêmes technologies s'immiscent chez nous dans la vie de tous les jours — caméras en réseau sur les rues des villes américaines, « files rapides » avec laissez-passer biométriques dans les aéroports, systèmes de surveillance d'emails et d'appels téléphoniques. Mais pour le secteur mondial de la sécurité intérieure, la Chine est mieux qu'un marché ; c'est aussi un magasin d'exposition. À Pékin, où le pouvoir de l'état est absolu et les libertés civiles inexistantes, les technologies de surveillance made in America peuvent être poussées à leurs limites absolues.
Le premier test commence aujourd'hui : la Chine peut-elle, en dépit des énormes agitations bouillant sous sa surface, organiser des Jeux « harmonieux » ? Si oui, comme tellement d'autres produits made in China, l'État Policer 2.0 sera alors prêt pour l'export.
Notes
[1] Un concept développé par Naomi Klein dans son livre La stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastre, grosso modo une politique qui consiste à remodeler le monde dans l’intérêt des compagnies multinationales en exploitant la peur et la désorientation qui accompagnent les moments de grand choc et de crise.
[2] Il y a dans la version originale un jeu de mot entre « Great Wall », la Grande Muraille, et « Great Firewall », le Grand Pare-Feu.