Alors qu'aux États-Unis, on ne parle que de ça, que ce soit à l'heure du déjeuner, sur les blogs même pas politiques ou dans la presse, alors qu'on hésite à publiquement invoquer Martin Luther King Jr ou Malcom X (pour l'éloquence de JFK, que l'on ne s'inquiète pas, le parallèle est fait depuis longtemps), la presse française s'en fout un peu. Laurent Gloaguen s'en étonne et un de ses commentateurs nous livre un article du blog Route 44 qui est ce que j'ai lu jusqu'à présent de plus détaillé sur le sujet.

Le discours lui-même est visible ici ou lisible sur DailyKos. Pas de transcription française connue (de moi) à ce jour.

Et c'est un beau discours. Un discours posé, un discours qui ne sert pas (comme on pourrait le croire en lisant la presse française) qu'à se dédouaner des paroles virulentes du Révérend Wright (même si ce fut bien fait, en expliquant pourquoi, bien que ce ne soit pas excusable, le pasteur s'était lancé dans de tels discours[1], et en refusant de se détacher totalement de lui). Un discours qui abordait enfin une question difficile : l'Amérique n'en a pas fini avec le racisme.

Comme le dit fort bien Angry Black Bitch:

If anyone running for public office needs to swiftly debunk claims that she or he is a Muslim…we are not post-racial.

Si quelqu'un se présentant à des élections se doit de prestement déboulonner des déclarations selon lesquelles il(elle) est musulman(e)... nous n'en n'avons pas fini avec le racisme.

Ah, et le Révérend Wright. Frank Schaeffer en parle à merveille sur le Huffington Post, du Révérend Wright. Il en dit essentiellement ceci :

When Senator Obama's preacher thundered about racism and injustice Obama suffered smear-by-association. But when my late father — Religious Right leader Francis Schaeffer — denounced America and even called for the violent overthrow of the US government, he was invited to lunch with presidents Ford, Reagan and Bush, Sr.

Quand le pasteur du Sénateur Obama tonne au sujet du racisme et de l'injustice, Obama en est éclaboussé par association. Mais quand mon regretté père — le chef de la droite religieuse Francis Schaeffer — a dénoncé l'Amérique et en a même appelé à violemment renverser le gouvernement américain, il a été invité à déjeuner avec les présidents Ford, Reagan, et Bush père.

Sur ce, les réactions de la presse américaine ?

L'éditorial du New York Times

There are moments — increasingly rare in risk-abhorrent modern campaigns — when politicians are called upon to bare their fundamental beliefs. In the best of these moments, the speaker does not just salve the current political wound, but also illuminates larger, troubling issues that the nation is wrestling with.

Inaugural addresses by Abraham Lincoln and Franklin D. Roosevelt come to mind, as does John F. Kennedy’s 1960 speech on religion, with its enduring vision of the separation between church and state. Senator Barack Obama, who has not faced such tests of character this year, faced one on Tuesday. It is hard to imagine how he could have handled it better.

Il y a des moments — de plus en plus rares dans ces campagnes modernes qui abhorrent la prise de risque — où les politiciens sont appelés à mettre à nu leurs convictions profondes. Dans les meilleurs de ces moments, l'orateur ne se contente pas de bander la blessure politique du moment, mais éclaire aussi des questions plus importantes, plus troublantes avec lesquelles la nation lutte.

Les allocutions inaugurales de Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt viennent à l'esprit, de même que le discours de John F. Kennedy sur la religion en 1960, avec sa vision impérissable de la séparation de l'Église et de l'État. Le sénateur Barack Obama, qui n'avait pas encore fait face à de telles mises à l'épreuve de sa moralité cette année, y a fait face mardi. Il est difficile d'imaginer comment il aurait pu mieux s'en tirer.

L'éditorial du Washington Post

Sen. Barack Obama's mission in Philadelphia yesterday was to put the controversy over inflammatory statements made by the Rev. Jeremiah A. Wright Jr., his spiritual mentor and pastor for 20 years, behind him. But Mr. Obama (D-Ill.) went deeper than that. He used his address as a teachable moment, one in which he addressed the pain, anger and frustration of generations of blacks and whites head-on — and offered a vision of how those experiences could be surmounted, if not forgotten. It was a compelling answer both to the challenge presented by his pastor's comments and to the growing role of race in the presidential campaign.

La mission du sénateur Barack Obama hier à Philadelphie était d'en finir avec la polémique au sujet des déclarations provocatrices du Révérend Jeremiah A. Wright Jr., son mentor spirituel et pasteur de vingt ans. Mais Mr. Obama (Démocrate-Illinois) est allé beaucoup plus loin que ça. Il a utilisé son allocution comme un moment d'enseignement, dans lequel il a parlé franchement de la douleur, de la colère et de la frustration de générations de noirs et de blancs — et offert une vision de comment ces expériences peuvent être surmontées, à défaut d'être oubliées. C'était une réponse irréfutable à la fois au défi présenté par les commentaires de son pasteur et au rôle de plus en plus important de la question raciale dans la campagne présidentielle.

L'éditorial du Boston Globe

Barack Obama could have made a much shorter speech. He could have protected his campaign yesterday by denouncing and rejecting his former pastor, Rev. Jeremiah Wright, as a crank. Then Obama could have rushed on, hoping that someone else's scandal would push his own out of the headlines.

Instead, Obama took the opportunity to engage the question of race in America, starting a bold, uncomfortably honest conversation. He asked Americans to talk openly about the deep wells of anger and resentment over racism, discrimination, and affirmative action. It's a call to break out of the country's racial stalemate and finally reach a new national understanding.

Barack Obama aurait pu donner un discours beaucoup plus court. Il aurait pu protéger sa campagne hier en dénonçant et rejetant son ancien pasteur, le Révérend Jeremiah Wright, comme un hurluberlu. Puis Obama aurait pu se dépêcher de boucler, en espérant qu'un autre scandale viendrait chasser le sien des gros titres.

Au lieu de quoi, Obama a saisi l'opportunité d'embrayer sur la question raciale en Amérique, en commençant une conversation audacieuse et inconfortablement honnête. Il a demandé aux Américains de parler ouvertement des profonds gouffres de colère et de ressentiment à l'encontre du racisme, des discriminations, et de l'accès à l'égalité[2]. C'est un appel à briser l'impasse raciale du pays et enfin atteindre une nouvelle entente nationale.

L'éditorial du Los Angeles Times

It may have begun as an exercise in political damage control, but Barack Obama's speech in Philadelphia on "A More Perfect Union" was that rarity in American political discourse: a serious discussion of racial division, distrust and demonization. Whether or not the speech defuses the controversy about some crackpot comments by Obama's longtime pastor, it redefines our national conversation about race and politics and lays down a challenge to the cynical use of the "race card."

Il a peut-être commencé comme un exercice de limitation des dégâts en politique, mais le discours de Barack Obama à Philadelphie sur « Une union plus parfaite »[3] était plutôt une rareté dans le discours politique Américain : une discussion sérieuse sur la division raciale, la méfiance et la diabolisation[4]. Que le discours ait désamorcé ou non la polémique sur des commentaires fanatiques du pasteur de longue date d'Obama, il redéfinit la discussion nationale sur race et politique et présente un défi à l'utilisation cynique de la « carte raciale »

Ah, quoi, comment, ça fait assez d'éditoriaux ?

C'est que c'est un sujet brûlant, que j'espère historique.

Et je compte bien vous servir quelques autres réactions plus tard...

Notes

[1] Pour ceux qui n'ont pas autant le nez que moi dans l'actualité américaine et n'auraient pas entendu parler du bon pasteur, la teneur de son message est en substance que Dieu ferait mieux de damner l'Amérique plutôt que de la bénir et si les Américains se conduisaient de façon un peu plus respectable et arrêtaient de tuer des innocents, les attaques du onze septembre ne leur seraient pas arrivées dans les dents.

[2] Ou discrimination positive, littéralement, action affirmative.

[3] Si vous l'ignorez, un des chevaux de bataille d'Obama est d'insister sur le « Unis » dans États-Unis. Contrairement à Clinton, qui elle, s'en balance.

[4] Un mot introuvable dans le CNRTL mais qui est dans Wikipedia, si ce n'est pas une référence...