Vrac
Lecteur, lecteuse, sache que je subis en ce moment les désagréables effets secondaires d'une saleté de médicament bien que j'en prenne la dose la plus minimale possible (à ces quantités, le machin n'est même pas supposé avoir d'effets thérapeutiques, juste me permettre de m'habituer afin de ne pas tomber dans les pommes au moment où j'augmenterai le dosage, mais à ce rythme là, je vais devoir laisser tomber avant). Je suis donc fraîche comme la rose, pour tout dire, l'autre jour quand j'ai levé la main pour participer avec intelligence, clarté et perspicacité à la discussion qui suivait une présentation orale lors d'un symposium, j'ai cru que j'allais tomber de ma chaise, et j'ai balbutié deux trois phrases que mon interlocuteur doit encore essayer de mettre bout à bout afin d'y trouver un sens. (Enfin, d'accord, il a probablement abandonné.)
D'où (en partie du moins, mais je tiens une bonne excuse, je ne vais pas la lâcher comme ça) l'absence de nouvelles. Et la nécessité de tout balancer en vrac dans le présent billet, modèle d'organisation s'il en est.
1. Les impôts me prennent pour une conne. Non, sérieusement. Bon, d'accord, le dernier mec des impôts à qui j'ai parlé me prend pour une conne. Déjà pour leur parler, aux impôts, c'est pas gagné : la plupart du temps, « en raison d'un volume exceptionnellement élevé d'appels », ils ne te mettent même pas en attente, tu n'as qu'à rappeler plus tard. Ensuite la seule fois où j'ai eu l'immense bonheur d'être mise en attente (sur fond de valse de Vienne et Printemps de Vivaldi, mais où vont-ils chercher tout ça je te le demande), on m'a baladée de service en service, jusqu'à la conversation suivante :
MOI
Oui donc la notice que j'ai reçue me fait savoir que les montants inscrits sur mon formulaire W2 ne correspondent pas aux sommes que vous avez reçues, j'aimerais savoir pourquoi. Si vous pouviez me donner les deux nombres que vous comparez...
LUI
Vous avez votre déclaration d'impôts devant vous ? Et votre W2 ?
MOI
Oui...
LUI
Dans la case 11 de votre déclaration d'impôts, vous avez combien ? Et dans les cases 2 et 9 de votre W2 ?
MOI
Ben, tant dans la case 11, qui est la somme des cases 2 et 9 du W2, comme requis...
LUI
Bon, ben alors ce que la notice dit, c'est que vous ne payez pas d'impôts.
MOI
Excusez-moi, mais vous prélevez $1200 sur mon salaire, vous me remboursez $160, et vous me dites que je ne paye pas d'impôts ?
LUI
Oui Madame.
MOI
C'est Mademoiselle, crétin ! (En fait je m'en fous, mais je m'entraine pour le jour où je pourrai rabattre le caquet des Américains en disant « C'est Docteur pour vous, Monsieur ». Je dis le caquet des Américains parce que les docteurs Français ont tendance à s'en foutre et à ne pas coller «, PhD » derrière leur nom partout comme si leur vie en dépendait.)
Je sais. Je n'aurais pas du raccrocher. J'aurais du demander à parler à quelqu'un d'autre. Mais comment j'aurais pu deviner que je tomberai systématiquement sur le volume exceptionnellement élevé d'appels ?
2. Les vacances, c'est chouette. Donc je vais passer une semaine à San Francisco avec mes parents mi-juin. J'ai des guides, une coloc qui y a habité la plus grande partie de sa vie et un collègue qui y est né, mais si tu as des conseils au sujet de San Francisco, lecteur, partage donc ta science dans les commentaires ci-dessous.
3. La vie est un peu une pute, quand même Je sais pas si tu es au courant, mais le Blondinet, en septembre, quand il s'est avéré que son chef-pas-trop-à-cheval-sur-l'éthique ne pouvait pas plus l'employer comme chercheur que le département comme chargé de TD, il s'est dit, zou, au diable les varices, soyons jeunes, soyons fou, et il a pris une année de césure et commencé à monter sa boîte avec un ex-prof à lui, afin de développer un produit-joli mettant en œuvre une super puce électronique qu'ils avaient tout bien inventée et brevetée précédemment. Et vas-y qu'ils se sont tapées les joies administrative, et que le Blondinet a arrêté de dormir parce que franchement, à quoi ça sert, et qu'ils ont trouvé un nom pour la boîte, et qu'il a fignolé le premier prototype, et qu'ils ont déposé des demandes de sous dans les agences nationales qui vont bien, et qu'il est allé faire la p... vendre son truc dans des conférences et que les gens trouvaient ça vachement bien, et qu'ils ont rencontré des banquiers de ci et de là, et qu'ils se sont lancé dans le merveilleux processus de rencontre d'investisseurs en capital-risque et sont arrivés presque jusqu'au dernier stage (je te la fais courte : tu es avec plein de gens, tu donnes un speech de 2 minutes sur ton projet, le jury te note et te commente, si tu es dans les tant de premiers, tu gagnes le droit de recommencer, ce jusqu'à ce qu'il reste suffisamment peu de candidats pour que les investisseurs les rencontrent. Si tu es juste en-dessous des tip-top premiers, tu ne gagnes pas d'entretien privé avec les investisseurs, mais on te donne une table dans un coin et tu peux vendre ta soupe), et que jusqu'à la semaine dernière tout semblait pavé de lys et de roses sous le soleil californien. Jusqu'à ce que la banque refuse de leur accorder le prêt qui était presque décidé, sous prétexte que l'historique de crédit du Blondinet a moins de 96 mois (évidemment, il a 24 ans, tu penses quoi, toi, qu'on lui a ouvert une carte de crédit au berceau ? Y a des lois dans ce pays ma brave dame !), et que les investisseurs sont allés investir ailleurs, et que les bourses n'ont pas été accordées. Et le Blondinet, dont l'année de césure touche à sa fin, et qui n'a aucune envie de retourner faire une thèse sous la direction de gens à l'éthique reprochable, il doit déménager du campus. Et donc trouver un salaire qui couvre 2-3 fois le prix du loyer qu'il envisage afin de pouvoir espérer louer un appartement plutôt que de dormir dans sa voiture. Et donc prendre un travail à plein temps dans une entreprise qui voudra bien l'employer à faire, avec un peu de chance, du développement, avec un peu moins de chance, du test. Et donc ne plus avoir de temps pour produit-joli. Donc plouf. (Enfin plutôt poum, du bruit que la massue fait en s'abattant sur ta tête quand le Blondinet t'annonce ça au détour d'une conversation, après que tu aies subtilement remarqué que quand même, il tire un peu la tronche, ce soir.)
4. Cherche c'est bien mais trouver ne me dérangerait pas Je t'ai dis que l'immense majorité de ma vraie recherche depuis décembre vient de partir à la poubelle ? Parce que bon, on avait une idée. Je la teste, les résultats sont mitigés. Je re-teste sur d'autres données, les résultats sont toujours mitigés. Je fais faire des petits à l'idée, les résultats sont encore plus mitigés. Résultat, on a une méthode, parfois elle marche, parfois elle marche pas, quand elle marche, c'est pas flagrant comme améliorations, et de toute façon, on n'a aucune idée de pourquoi des fois elle marche et des fois elle marche pas. C'est suffisamment détaillé pour rentrer dans ma thèse en quelques pages avec un peu de chance et un bon pied de biche, mais pour une publication, nada, niente, que dalle, des claveles.
C'est pas super grave parce que on a d'autres idées et que pendant ce temps mes projets techniques que je ne peux pas coller dans ma thèse mais qui avec un peu de chance conduiront un jour (de préférence avant que je sois diplômée, ce serait cool) à une publication ont avancé.
Mais quand même, ça donne envie de balancer la porcelaine Ming dans les murs.
Heureusement je n'ai pas de porcelaine Ming.
Ni de porcelaine tout court d'ailleurs.
(Tu me crois, si je te dis que mon médoc, ça fait presque onze heures que je l'ai pris ?)