Conversations téléphoniques
Non, être au téléphone n'a jamais entouré qui que ce soit d'une aura d'invisibilité et encore moins d'une installation insonorisée qui ferait que tout d'un coup, pouf, on décroche le bigot et on se retrouve dans un endroit parfaitement privé. Un endroit depuis lequel on peut discuter des données sensibles, un endroit depuis lequel on peut parler de sa vie privée en détails, un endroit depuis lequel on peut s'engueuler avec les gens, un endroit depuis lequel on peut crier et rigoler tant qu'on veut sans que personne d'autre n'entende. Eh ben non. Et plus tu gueules, plus les passagers du bus / tes compagnons de salle d'attente / les gens à la table d'à côté / tes voisins (rayer les mentions inutiles) ils entendent.
Exemple numéro 1 : tu es un grand monsieur important. Ça se voit : tu portes un costume-cravate et des chaussures vernies qui ont l'air de te faire mal aux pieds, une chevalière en or et un attaché-case en cuir véritable qui déborde de papiers super officiels et de ton ordinateur portable ultra-fin. Et d'un numéro d'un truc qui pourrait parfaitement être Playboy mais vu que je n'en vois que la couverture on va supposer qu'il s'agit du Wall Street Journal. Ah ben non mince le Wall Street Journal est un journal, pas un magasine. Bon, ben The Economist alors. Ou Playboy, finalement. Bref. Ton téléphone, qui a bien évidemment une sonnerie imitation de téléphone classique des années soixante, bien stridente, sonne avec la discrétion qui te sied. Eh bien, non, John-Hubert, tu as beau être important et plein de fric (et essayer de me gratter ma place dans la file d'embarquement parce que toi, tu es un homme occupé), tu n'es pas tout seul dans le hall de cet aéroport. Crois-moi. Regarde autour de toi, je sais que c'est dur, mais vas-y, regarde, et vois. Des gamins qui courent partout, des étudiants dépenaillés et fatigués, des grands-mères enpermanentées, d'autres hommes d'affaires importants (mais non, voyons, bien sûr qu'ils ne sont pas aussi importants que toi, regarde, leur chevalière, elle n'est pas aussi grosse.). Tout plein de gens qui savent désormais parfaitement le prénom de ton interlocuteur, le nom complet des clients dont tu discutes le cas épineux, et qui s'ils voulaient s'en donner la peine pourraient connaitre le nom de ta grosse boîte importante rien qu'en ramassant un des papiers que tu as laissé échapper sur le sol. Tes clients, ils seraient ravis de te voir, John-Hubert.
Exemple numéro 2 : tu es une étudiante en biologie, sciences de la nature, ou je ne sais quoi de cet acabit. Tu es au téléphone avec quelqu'un qui s'y connait. Au milieu de la terrasse d'une cafétéria. Vers midi trente. Grâce à toi, la plupart des pauvres hères qui déjeunaient à cet endroit savent désormais que disséquer un chat trop maigre, c'est délicat, parce que si tu plantes le scalpel trop profondément dans la peau, tu perfores le muscle, ce qui rend ton chat inutilisable pour l'expérience que tu voulais faire. Et après ta chef t'engueule parce que tu as gâché un chat. Je ne gâcherai pas de chat, grâce à toi, Sophie-Murielle. Et en plus je sais désormais que Tom et Anette couchent peut-être ensemble, ce qui est vachement émoustillant comme nouvelle, un ragot sur des gens d'un département que je ne connais même pas ! Ah, non, merde, tu parlais d'une série télé.
Bon, j'aurais bien un exemple numéro 3 des gens qui traitent leur femme (ou leur mari) de tous les noms au téléphone, et un exemple numéro 4 de la fille qui raconte à sa meilleure amie combien de fois elle a joui et dans quelles positions, mais il faut que j'y aille.
Je vous laisse donc avec deux photos d'une fleur du Golden Gate Park de San Francisco.