Holy Molly, People
Pas moyen d'y échapper. La Convention Nationale Républicaine est partout, dans les journaux, sur les blogs, dans mon Twitter, dans les couloirs, les pauses déjeuner, à la télé quand ma colocataire et son copain la regardent, et même à la radio, ce qui étant donné que je n'écoute la radio que quelques secondes par jour (du moment où mon radio-réveil se met en marche le matin à celui où je lui tape dessus) est tout de même un exploit. Après m'être intéressée à la Convention Nationale Démocrate, il m'est inutile de résister, et je suis fascinée par la politique américaine du moment, qui me donne l'occasion d'avoir la nausée, de me mettre en colère et de gueuler sur mon écran environ cent-dix fois par jour. (Et je ne te parle pas des fois où mes scripts plantent, ni de celles où je me bats pendant des heures avec un paragraphe d'introduction. Non, pas de billet de blog, ça doit se voir quand même que je n'y passe pas des heures, toujours mon article, toujours le même. Non, ne demande pas.)
Et je n'en peux plus. Je m'énerve, je m'emporte, j'invective, je réponds à voix hautes aux commentaires que je lis ici ou là, j'essaie de ne pas mais j'y reviens sans cesse, je suis shootée à la campagne électorale, j'ai même rêvé de l'Alaska deux fois en trois nuits, et pour quelqu'un qui n'aime pas beaucoup la neige (un jour, ça va, plus de deux, bonjour les dégâts) c'est loin d'être la panacée. Et je ne parle plus que de ça (et d'apprentissage de noyaux multiples mais c'est un autre sujet).
J'en suis arrivée à la conclusion que les Républicains me font froid dans le dos.
Les Républicains me font froid dans le dos parce qu'ils jouent sur les sentiments des gens, mais pas de beaux et grands sentiments d'unité, de compassion et d'« on va se tirer de là » comme les Démocrates, non, des sentiments bas et mesquins. Ils puisent dans l'individualisme, dans la peur des autres, dans l'instinct de se taper sur le torse en gueulant. Plus qu'à l'éternel déchirement entre les lunettes de l'abondance et celles de la pénurie (ceux qui voient les choses à travers les premières se disent qu'il doit bien y avoir assez de ressources pour tout un chacun, surtout dans le pays le plus riche du monde ; les adeptes de la seconde se disent que si on donne aux autres, il ne reste plus assez pour eux), on assiste ici au débat de l'anti-intellectualisme contre l'élite éduquée. Les gens cultivés, éduqués, ont forcément quelque chose à cacher, passer son temps le nez dans des livres poussiéreux plutôt que d'aller se bourrer la gueule à un match de football (américain), ce n'est pas normal. Et en plus ils se croient meilleurs que le commun des mortels avec ça ? (C'est pourtant bien simple : ne pouvant tirer fierté de mes exploits sportifs, je me rabat sur le fait de savoir prononcer « nuclear ». Je suis peut-être pédante mais moi je dis bonjour aux jardiniers et autres agents d'entretien même s'ils ont l'air Mexicains).
Les Républicains se posent en gens du peuple, auxquels l'Américain de base peut s'identifier, loin des élites et loin de Washington. Parce que l'Américain de base, et on l'a bien vu avec George W. Bush, il veut un Président avec lequel il peut s'imaginer prendre une bière, pas un Président foutu de réfléchir aux complexités des questions nationales et internationales. Une bonne mère de famille, mariée à son amoureux du lycée, qui sait se servir d'un flingue et pondre des enfants aux prénoms ridicules, qui s'en remet à Dieu et ne doute pas que le monde ait été créé de Sa main il y a six mille ans de ça, voilà ce qu'il veut, l'Américain de base, et on la lui sert sur un plateau. Et avec ça, un ancien soldat qui peut se gausser de ne s'être pas toujours aligné sur son parti (les détails de ce non-alignement sont absolument secondaires, ce qui compte, c'est de ne pas faire partie de l'establishment) ? L'extase. Que demande le peuple ? Une barre chocolatée avec ça ?
On peut tout faire sur ces bases-là. On peut dire que le fait que l'Alaska ait une frontière commune avec la Russie qualifie Palin en termes de politique extérieure. Un peu comme si on propulsait le maire de Nice à la tête de l'Union Européenne parce qu'il a des liens avec la Mafia sous prétexte qu'il a des responsabilités dans une zone géographiquement proche d'une frontière.
On peut dire que le fait que McCain se soit physiquement battu pour l'Amérique le qualifie pour le poste Président, comme s'il y avait un rapport entre être un bon soldat et pouvoir diriger un pays. Se battre pour son pays dans une guerre, c'est beaucoup plus formateur que de se battre au Sénat pour de vulgaires textes de loi, par les temps qui courent.
Je n'ai pas eu le courage de regarder Sarah Palin (ni son public), mais j'ai lu ce matin le texte de son discours d'hier. Je ne me berce pas de l'illusion de pouvoir être totalement objective, mais même à l'aune de la viduitude vacuitude vacuité relative des discours Démocrates et en sachant que le contenu politique réel attendra les débats, je l'ai trouvé particulièrement vide. Elle a longuement parlé de sa famille et de sa jeunesse (elle n'aura pas été la seule, tous partis confondus, mais je ne m'en remets toujours pas). Elle a ensuite procédé à attaquer assez bassement ses adversaires — les Démocrates que j'ai écoutés avaient, eux, la politesse de nommer John McCain et George Bush, plutôt que d'utiliser un « opponents » générique, le même que celui qui sert à désigner les terroristes. Elle n'y ai pas allé avec le dos de la main morte (à qui revient donc la p/maternité de cette expression que je chéris ?). Elle a osé, et elle n'a pas fait honte à son surnom de Barracuda (le premier qui sifflote du Claude François sur ces lieux est prié de se priver immédiatement de glace à la vanille).
Elle a osé critiquer le manque d'expérience de Barack Obama, en le présentant comme un activiste communautaire (ce qu'il était il y a vingt ans) sans vraies responsabilités. Je ne nie pas qu'être maire, même d'une ville de quelques milliers d'habitants, ne vienne avec des responsabilités. Je pense par contre que sortir de la mouise les habitants noirs et pauvres d'une communauté de Chicago frappée par le chômage après la fermeture des aciéries n'était pas forcément une partie de golf. Oh, et, Sarah, sais-tu qui d'autre était activiste communautaire ? L'intouchable Dr. Martin Luther King Jr. Et Jésus Christ, aussi. Et tout plein d'autres qui, de nos jours, s'occupent des pauvres, des démunis, des sans-abris, des malades, des personnes âgés, de tous ces gens qui n'ont pas le bon goût de gagner de l'argent.
Elle a osé critiquer le manque de contenu des discours de Barack Obama, prétendant que sous la rhétorique ne se trouvait que du vent, tout en faisant exactement la même chose. C'était un tour de force assez admirable (d'autant que je suppose que les applaudissements se sont déchaînés à ce passage).
Elle a osé s'attribuer l'abandon du projet de pont qui aurait relié Ketchikan à une petite île, bien que son opposition ne lui soit venue qu'après que ledit pont ait été ridiculisé nationalement et appelé « le pont vers nulle part ». Dutronc se met à chantonner dans ma tête « Moi je ne fais qu'un seul geste, je retourne ma veste ».
Elle a osé soutenir qu'alors que Barack Obama se sert du (thème du) changement pour promouvoir sa carrière (ce qui est vrai mais ne signifie pas que ce ne soient que paroles en l'air), McCain se sert de sa carrière pour promouvoir le changement. Mais sans (pouvoir) s'appuyer sur le moindre exemple concret de changement que McCain aurait apporté dans ses vingt et quelques années de carrière.
Enfin, elle a osé dire ceci :
This is a man who can give an entire speech about the wars America is fighting and never use the word "victory" except when he's talking about his own campaign.
C'est un homme qui peut donner un discours entiers sur les guerres que l'Amérique combat et ne jamais utiliser le mot « victoire » sauf pour parler de sa propre campagne.
J'ai quelques mots-clés pour toi, Sarah. Corée. Baie des Cochons. Vietnam. Irak. Afghanistan. Il y a de quoi utiliser le mot « victoire », franchement. Ah, j'admets, le renversement de Noriega à Panama s'est assez bien passé. Et la Guerre du Golf(e)[1], oui, techniquement une victoire, d'ailleurs ça c'est encore bien terminé cette histoire, tu ne trouves pas ? Éclatant.
Ayant donc démontré que les Démocrates, pardon, ses adversaires, sont pire que tout, qu'a-t-elle proposé d'autre ? Quelle est l'alternative devant laquelle elle place les électeurs ? Voilà ce que j'ai relevé :
- ne plus dépendre du Moyen-Orient pour le pétrole ni de la Russie pour le gaz, en utilisant plus de ressources américaines le temps de développer des énergies alternatives (c'est tellement différent du programme Démocrate !)
- baisser les impôts (tiens, c'est ce qu'annoncent les Démocrates aussi. Mais pas les mêmes impôts ni pour les mêmes personnes). Une intéressante comparaison ici (où l'on remarquera que, oui, les gens qui gagnent moins de $19,000 par an sont suffisamment imposés pour qu'une baisse de $567 soit possible).
- implicitement, continuer la guerre en Irak, car Sarah Palin pense que la victoire est proche. Cela, je pense, se passe de commentaire.
- oh, et continuer de faire n'importe quoi avec les droits de l'homme sous prétexte qu'Al-Qaida continue de menacer les États-Unis. Qu'Obama arrête un peu de faire sa chochotte parce qu'on ne lit pas leurs droits à ces dangereux criminels ! (Le fait qu'Obama s'oppose, en fait, à la torture, est accessoire. John McCain, qui en a vécu l'expérience, nous dira probablement lui-même que torture, droits Miranda, même combat.)
- ... je crois que c'est tout.
Elle a par ailleurs soigneusement laissé hors de l'équation les droits de la femme. La femme nous emmerde — mais mieux vaut ne pas le dire tout haut, sinon, c'est du sexisme. Surtout quand la femme est Sarah Palin, beaucoup moins quand elle est Hillary Clinton, qui elle, fait honte au corps politique féminin en se plaignant d'être la victime d'un tel comportement. Ou alors c'est parce qu'elle n'a pas le look de bibliothécaire sexy qu'elle fait honte au corps politique féminin ? Je ne sais plus.
Elle n'a pas non plus abordé le thème de l'éducation, et on en revient peut-être à ce que je disais à propos d'anti-intellectualisme.
Mais je sais aussi sans qu'elle ne me le rappelle que les Républicains me font froid dans le dos du fait de leurs idées tout autant, si ce n'est plus, que de celui de leur rhétorique. Les Républicains me font froid dans le dos parce qu'ils défendent un modèle socio-économique dans lequel les riches deviennent encore plus riches et les pauvres, les vieux et les malades peuvent aller se faire voir car ils n'ont qu'à s'aider eux-mêmes au lieu de compter sur le Gouvernement, et les classes moyennes sont priées de rejoindre au plus vite l'une de ces deux catégories. Les Républicains me font froid dans le dos parce qu'ils croient, vraiment, que la guerre en Irak était une bonne idée et continue d'en être une. Les Républicains me font aussi froid dans le dos, au passage, parce que l'égalité hommes-femmes leur importe peu, parce qu'ils aiment beaucoup les armes à feu et la peine de mort, parce qu'ils mettent vraiment Dieu à toutes les sauces y compris là où il n'a vraiment pas sa place (dans les écoles par exemple, mais aussi dans la vie privée des femmes qui tiennent à disposer de leur corps et de ces gens dépravés qui aiment quelqu'un du même sexe qu'eux). Les Républicains me font froid dans le dos, enfin, parce que le public de leur Convention est extrêmement peu cosmopolite (comme le disait une copine : « Mais si, il y a des noirs. Regarde tous les gardes du corps ! ») et je ne trouve pas ça convivial du tout.
On me dira que je n'ai qu'à boucler ma thèse (la blague) et me tirer de ce pays vite fait. Pourquoi pas. Mais des gens qui me donnent froid dans le dos, j'ai bien peur qu'il n'y en ait partout.
Notes
[1] Voir le commentaire numéro 7 par Miss SFW ci-dessous