Où Krazy Kitty déballe sa vie sentimentale
Une fois n'est pas coutume, AmRhaps se transforme l'espace d'un billet en blog de midinette adolescente attardée — si tu as crié dans le fond que ça ne nous changera pas, la porte est juste derrière toi — dans lequel je déverse un peu plus d'affaires privées qu'à l'habitude. C'est un exercice qui n'est pas particulièrement aisé, mais j'ose le croire libérateur. Ce n'est pas forcément une bonne idée et je ne suis pas sûre d'en laisser le résultat en ligne très longtemps. Si vous préférez mon discours politique habituel, on trouve un peu partout sur Internet des vidéos de John McCain assurant que les fondements de l'économie américaine sont sains pendant que la Bourse s'écroule et que les géants de la finance s'effondrent les uns après les autres, c'est divertissant dans son genre.
Chère Vie (ou Fatalité, ou Être suprême, enfin, la personne à laquelle on s'en prend quand les choses vont mal et que l'on ne croit pas en Dieu, non, pas Benjamin Malaussène),
Faut que j'te dise.
C'était vraiment aimable à toi de me mettre sur le chemin du Blondinet. Un garçon charmant et intelligent qui ne passe pas ses fins de semaine à essayer de remédier aux deux en se saoulant la gueule, ça ne court pas les rues, crois moi. Surtout pas un qui soit capable de se débrouiller avec mon caractère, disons, impétueux (tel le fougueux cheval de Camargue courant dans les marais salants, il a tendance à échapper à mon contrôle ; ça me rend drôle mais pas nécessairement facile à vivre) ni de m'aider / m'aimer bien que je sois un peu cassée de l'intérieur.
Depuis le début on n'était pas d'accord sur tout, et il est arrivé plus d'une fois que la discussion s'enflamme et que nous nous retrouvions à nous envoyer (virtuellement, n'oublie pas que nous n'avons pas les moyens, puis je suis plus violente en paroles qu'en actes, et comme disait Ferré, « des armes des mots c'est pareil, ça tue pareil », alors bon, quoi je divague ?) les assiettes à la figure. Finalement nous nous sommes mis d'accord pour ne pas être d'accord (hmm là ça se voit que j'essaie, pauvrement, de traduire we agreed to disagree ?) et n'aborder les sujets qui fâchent qu'avec parcimonie, histoire d'arrêter de nous pourrir la vie.
Par ailleurs il s'est aussi avéré que nos désirs d'avenir visions du futur étaient assez différentes l'une de l'autre. Non que je sois fermement arrêtée sur l'endroit où je souhaite vivre et la façon dont je souhaite le faire, mais il est vite devenu clair que quoi que ce soit que je veuille ne collerait pas des masses des masses avec ce que lui souhaiterait. Ni en termes de « où » ni en termes de « comment ».
Ma maman dit qu'une des phrases fétiches de mon enfance était « c'est pas grave », c'est donc fidèle à moi-même que je me suis dit que bah spagrave, je n'en suis pas encore à planifier ma vie de couple-pour-toujours et encore moins des enfants, je peux bien continuer de passer du bon temps avec ce jeune homme.
Et forcément, de vacances ensemble en tuiles partagées, de dîners en amoureux en crises de larmes, de fous rires communs en visites chez le médecin, au lieu de nous lasser l'un de l'autre, nous avons formé un couple plutôt solide bien que vaguement incongru. Oups, petite boulette dans l'ordre bien rangé des choses. Oui, la Vie, je l'avais vu venir. Oui, la Vie, je l'avais bien cherché. Tu prendras une part du blâme quand même, gourgandine.
Il est donc arrivé un jour où il a fallu arrêter de faire l'autruche (malgré les prédispositions que mon long cou, celui qui m'a plusieurs fois valu l'adorable surnom de girafe, me donne) et aborder le fait que cette histoire ne va nulle part si ce n'est dans un mur. En tête à tête avec le Blondinet, j'ai donc réfléchi (ça arrive parfois), pour autant que les larmes qui coulaient toutes seules sans que je ne leur ait rien demandé, les catins, et mon envie d'aller me planquer sous mon édredon et d'oublier tout ça me le permettaient.
Le cœur du problème, vois-tu, la Vie, c'est que le Blondinet pour une fois est d'accord avec moi (je suis mauvaise, nous sommes d'accord sur beaucoup de choses. Juste pas d'accord sur quelques unes très importante aussi). S'il n'était pas attaché à moi, tu penses bien qu'il me quitterait. S'il avait l'intention de m'épouser et me voyait comme la femme de sa vie, je prendrais mes jambes à mon cou et filerais telle le 1500V sur une caténaire voir ailleurs s'il n'y aurait pas des gens sains d'esprit pour changer. Mais non, l'animal est aussi couillon que moi et ne sait sur quel pied danser. Fichtre, cornegidouille et palsambleu parsembleu.
Nous ne désirons donc ni nous séparer, ni continuer de faire comme si de rien était en attendant de nous détester l'un l'autre pour les choix de vie exécrables que notre relation nous aurait poussé à faire. (Un exemple, la Vie ? Ne pas revenir vivre en France ou tout du moins en Europe, en voilà un choix qui serait bien exécrable en ce qui me concerne. Rien que de voir des photos de tarmac me donne l'envie de sauter dans le premier avion pour retrouver quelques bonnes vieilles pierres et des us et coutumes un peu plus en accord avec ma culture et mon éducation, donc rester dans ce pays, c'est niet, la Vie, n'essaie pas de me faire croire le contraire. Dommage que pour le Blondinet ce soit de quitter durablement les États-Unis qui sente très mauvais des chaussettes.) Hmm, tu disais, la Vie ? C'est un peu vouloir le beurre, l'argent du beurre, et le cul de la fermière ? Je voudrais bien t'y voir.
Je ne suis que moyennement ravie par la tournure des choses. Mais il fallait bien décider de quelque chose. Passer moins de temps ensemble, commencer à regarder ailleurs, s'habituer à l'idée que cette relation sera bientôt finie, passer à autre chose. Oh, je sais, la Vie, tu parles d'une solution bancale. Peut-être que si je rentrais dans les détails, tu comprendrais. Tu crois que j'essaie de m'accrocher en espérant qu'il change d'avis, mais l'idée de passer ma vie avec lui continue de me déplaire profondément. Tu penses que ça ne va jamais marcher et qu'on va finir par se faire plus de mal que si on s'était séparés proprement, genre « tiens reprends ta brosse à dents, oh elle ferait joli enfoncée dans ton œil, bouge pas j'essaie », mais qu'est-ce que tu en sais ? Que pouic. Ou tu penses peut-être que je suis exigeante. Moi je pense que vingt-trois ans c'est encore beaucoup trop tôt pour oublier ses rêves et se contenter de ce qu'on a réussi jusque là. (Je deviens ambitieuse, avec l'âge, c'est indécent.)
Non que je sois ravie par la tournure des choses. Mes chances de trouver dans mon petit bout de Californie du Sud un amoureux (rien que ça ce n'est pas facile) que je n'élimine pas en deux conversations du rôle de futur père de mes enfants, ce qui inclue qu'il soit capable d'envisager de me suivre en France, sont plutôt maigrelettes pour ne pas dire inexistantes. (Oh, des Américains prêts à s'expatrier en France, j'en connais, la Vie, ne me fais pas dire le contraire. Deux, très précisément. Ma colocataire et son petit ami, pour tout te dire.) Et que si c'est pour me retrouver dans la même situation qu'avec le Blondinet, ça ne vaut pas franchement la peine. Je sais que si je n'essaie pas je n'ai aucune chance que ça marche, mais de toute façon par expérience quand j'essaie ça marche moins bien que quand je n'essaie pas particulièrement, c'est dire tout mon talent de séductrice. La motivation est à son comble, comme tu le vois. Ou dans les combles, comme tu veux.
Quant à me servir de la magie d'Internet (je suis une geekette oui ou flûte ?) pour flirter avec des Français... non mais ça va bien, la Vie ? J'en ai encore pour aux alentours de quinze mois (on touche du bois) de ce côté-ci de l'Atlantique, ce serait tout bonnement ridicule pour ne pas dire irresponsable. Ouais, je suis pas toujours très responsable, comme fille, je sais, commence pas.
Puis tu crois que je le prendrai comment, la Vie, le jour où le Blondinet se dénichera une blondasse en mini-jupe zinzolin, manucure assortie et décolleté plongeant ? Car, oui, elle aura beau être brune ou rousse, en jeans ou en chemisiers boutonnés jusqu'au col, elle sera nécessairement une blondasse en mini-jupe zinzolin, manucure assortie et décolleté plongeant dans ma stupide caboche, puis il faut bien avouer que démographiquement parlant c'est plus probable. Ça m'étonnerait que mon cœur d'artichaut, sans parler de ma confiance et mon estime en moi-même, ces petites choses fragiles, n'en prenne pas un sale coup. Autant m'y préparer, remarque, c'est assez inévitable avec les ex, soient-ils presque-ex.
Mais je vais te dire un truc. Je regrette pas. Rien. Pas une seconde. Ça valait le coup même si c'est en train de se finir.
Pourquoi je te raconte ça, la Vie ? Pas pour que tu me prennes en pitié, oh non, ni pour que tu me gonfles avec tes histoires de qui sème le vent récolte la tempête, ou encore moins de rédemption et je ne sais trop quoi (de toute façon je ne crois pas au pêché, comment pourrais-je croire en la rédemption ?). Pas vraiment à la recherche de conseils, non plus, enfin si tu en as un je prends, mais t'es pas tellement douée en conseils, la Vie, de toute façon, et je sais bien qu'y a pas d'abécédaire pour apprendre l'alphabet de ces situations-là. Plutôt parce que ça se bat constamment avec mes petites molécules, benzène, cycles aromatiques, alkaloïdes et barbituriques pour avoir l'attention de mon cerveau (heureusement je ne regarde pas la télé, Coca-Cola n'entre donc pas dans la danse) et qu'il faut bien que je chouigne et que je te le crache, que c'est trop injuste, que même si je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, je t'en veux aussi à toi, quand même, la Vie, parce que je vais te dire, je suis pas la seule, tout comme moi t'es rien qu'une emmerdeuse.
Cordialement,
K².
PS : Histoire qu'on ne s'ennuie pas trop toutes les deux pendant que je raconte ma vie, j'ai collé tous les mots de chez Anna dans ma missive. Oui, pour « rédemption », j'y suis un peu allée au pied de biche, « abécédaire » aussi d'ailleurs on aurait dit de la poésie pour la collection Harlequin ce passage, mais c'est déjà, comment on dit au sport quand ils perdent, oui, ça me revient, un bel effort.
PPS: La Vie ? Crève, charogne, étouffe-toi, pustule !