Je suis partie de chez moi vers 19h, après avoir vidé environ la moitié de la bouteille d'anti-moustique sur ma personne. J'embaumais le cinq sur cinq, un délice, je sais m'apprêter quand je sors. Vers 20h j'étais à l'entrée du parc, fort loin encore du lieu des réjouissances, dont je ne connaissais d'ailleurs pas l'endroit exact. J'allais commencer à m'inquiéter de savoir si je marchais vraiment ou non dans la bonne direction quand je la vis.

La foule.

Plusieurs dizaine de milliers de personnes en train de converger vers un seul et même point central, ça a de la gueule. Façon troupeau de buffles qui écrase tout sur son passage.

Foule

J'ai passé la sécurité environ quarante-cinq minutes avant le début du concert. La zone faisant office de salle était pleine. Il y avait encore plus de gens autour, sur des couvertures, serrés les uns contre les autres.

Foule

Quarante-cinq minutes, c'est juste le temps qu'il m'a fallu pour remonter, peu à peu, vers la scène (dont l'arrière plan reproduisait celui de la Scala avec un bon goût sur lequel je m'abstiendrai de commenter).

Scène

Chance de chance, j'ai même réussi à avoir une chaise.

Scène, de ma chaise

A 21h, le silence s'est fait. L'orchestre puis le chœur sont montés sur scène. Un hautbois a donné le la, l'orchestre s'est accordé. Un type que je crois être le maire de Tel Aviv est monté sur scène et a prononcé un discours d'autant plus long que je n'y comprenais goutte ; mais je peux garantir que les gens autour de moi en avaient tout aussi marre. Je sais qu'il a parlé de Milan, et de l'Italie, et de la Scala, et de Tel Aviv, et d'Israël. Je sais qu'il a parlé d'Histoire (peut-être de Terezin ?), même qu'il a fait tellement de name-dropping qu'on aurait pu croire qu'il lisait un annuaire des noms de rues de la ville. Enfin il a dit « Amen », et puis il a annoncé Daniel Baremboïm et puis il s'est tiré. ENFIN.

Comme le protocole n'avait pas été respecté, ou que le discours avait vraiment duré longtemps, ou qu'on ne trouvait plus la soprano, le hautbois a redonné son la au premier violon qui l'a donné à tout l'orchestre qui a fait semblant de s'accorder de nouveau.

Et puis on a attendu.

Et attendu.

Et attendu.

Et enfin les solistes sont arrivés avec Dany. Applaudissements. Puis silence. Puis Dany a levé sa baguette.

C'était l'extase. Je suppose que ça ne se raconte pas. Je recommande d'écouter un enregistrement (là, par exemple), puis d'imaginer. En plein air, avec des dizaines de milliers de spectateurs, par deux centaines des meilleurs musiciens du monde, là, sous tes yeux et dans tes oreilles. Pour de vrai, avec tous les détails, les flûtistes qui haussent les sourcils (sérieux, ça fait partie de la technique de la flûte traversière, non, le haussement de sourcil), les grands-pères bassons qui attendent sagement que ce soit un peu leur tour, les altistes bien cachés derrière le chef... et Adriana Damato, Lucianna d'Intino, Giuseppe Filianoti et Rene Pape en gros plan sur les écrans qui flanquent la scène, et qui chantent, mama mia, qui chantent. Oui, je prendrai le ténor, là, Giuseppe Filianoti. Parfait, c'est pour mettre à la place de la télé, vous me l'enveloppez ?

Je crois que je suis morte de bonheur environ quinze fois. Imagine, mais imagine, ce que le Dies Irae peut donner, et imagine dix fois ça. J'en avais la chair de poule.

Les photos étaient interdites. Tu crois que j'avais que ça à faire, de prendre des photos, de toute façon ?

Quand ils ont terminé j'ai marqué un temps avant d'applaudir, tellement j'espérais que ce ne soit pas la fin, qu'il y en ait encore, que ça ne s'arrête jamais. Mais non, j'avais bien reconnu le Libera me, Barenboim a baisé la main d'Adriana Damato et que faire ?

Je tiens d'ailleurs à faire remarquer que le public israélien est un gros nul. Non seulement ça envoyait des SMS à tout va pendant le concert, mais en plus qui c'est donc qui leur a interdit de faire preuve d'enthousiasme ? Je m'attendais à un torrent d'applaudissement, à des sifflets, des cris, des gens qui se lèvent et qui tapent dans leurs mains à tout rompre... une représentation époustouflante, tout ça pour gratuit, de la part d'un orchestre qui ne se déplace que très rarement hors d'Italie, et tu tapes poliment dans tes mains quand c'est fini ? Tu fais juste un pauvre rappel à la noix ? Tu finis par enfin lever ton cul de ta chaise parce que bon, apparemment, c'est ce qui se fait ? J'aurais été sur scène (et crois-moi, je n'ose même pas considérer ce genre de possibilité...) j'aurais été super vexée. On va dire que le bruit des applaudissement s'est perdu dans l'immensité de l'espace ouvert, hein... mais j'en ai entendu beaucoup plus quand les feux d'artifices ont commencé.

Feu d'artifice

Pour plus de photos, notamment des feux d'artifice, voir chez Mr. Flickr.

Je me suis perdue dans la foule en sortant et il m'a fallu deux heures pour rentrer car il était hors de question, vraiment hors de question, que je consente à faire autre chose que de marcher le nez en l'air, des étoiles plein les yeux et le sourire aux lèvres... J'étais épuisée en rentrant, mais si j'avais un seul regret, ce n'était pas de ne pas avoir pris de taxi mais de m'y être rendue seule, de n'avoir eu personne de connaissance avec qui partager ce moment magique.