Krazy Kitty fréquente du beau linge
Et ainsi donc notre héroïne passa, comme annoncé, une fantastique semaine en compagnie de la crème de la crème des physiciens, du gratin de la politique scientifique et du dessus du panier des jeunes chercheurs (à en croire les discours nous expliquant combien rigoureux fut le processus de sélection nous autorisant à participer à ces réjouissances).
Une expérience unique et mémorable. J'oublierai vite les discours sirupeux des politiciens et l'énervement provoqué par les gens qui préfèrent poser pour une photo (prise le plus souvent avec un téléphone) et demander un autographe que de profiter de cette unique occasion d'avoir une conversation avec ces gens-là — l'un d'entre eux, dont j'avais déjà décidé qu'il était mon héros, a écrit, pour un autographe demandé par un étudiant contrit pour l'auguste directeur à quelques années de la retraite qui le lui avait réclamé, Dear Professor, best of luck for your career —, mais si je n'ai guère l'espoir de rester en contact avec les quelques autres participants avec lesquels je me suis particulièrement liée, j'espère me souvenir longtemps de l'esprit de cette rencontre, des gens brillants avec lesquels j'y ai parlé et des conversations tous azimuts.
Quelques cartes postales, donc, ci-dessous.
Jour 1 : Aujourd'hui clés
Celles de ma chambre (pardon, ma suite !) me permettent aussi, après avoir suivi une belle allée bordée d'arbres et de fleurs bien taillés, d'ouvrir le portail qui donne sur une plage privée et d'aller plonger une tête dans le lac. Hélas, le devoir m'appelle, sous la forme d'une promesse qui aurait du me prendre quelques minutes seulement à tenir mais qui a déjà occupé avant mon départ quelques heures que j'aurais préférées passées à dormir, et je me contente d'une brève promenade avant de me mettre au travail, pieds nus sur la terrasse.
Toutes les séances de travail un dimanche matin ne sont pas égales entre elles.
Jour 2 : Aujourd'hui elle ressemblait à
La vieille ville insulaire qui nous accueille ressemble en ce début d'après-midi à une fourmilière, bruissante de l'agitation des participants à la rencontre qui fait la fierté locale et dont l'activité s'ajoute à celle des touristes habituels. Les Porsches réservées aux invités de marque embouteillent les axes principaux, et les rues piétonnes sont envahies par les jeunes chercheurs en quête de cartes postales, de glaces ou du bâtiment où se trouve leur session de l'après-midi. « Qui sont tous ces gens avec des badges et des sacoches blanches ? » demandent les touristes autour de moi.
La photo que tout ce beau monde a prise.
Jour 3 : Aujourd'hui est un plan
Dîner aux frais de mon institution. Quelques jeunes chercheurs, notre hôte et sa femme, et un ténor de la physique avec son assistante. « Assurons nous qu'un d'entre nous au moins ne le perde pas de vue », propose un charmant physicien des particules et nous levons tous les trois nos flûtes de champagne à ce plan. Les groupes se forment et se déforment dans la salle au gré des conversations ; puis le photographe officiel arrive et nous fait poser sur les marches ; enfin nous passons à table. Comme sur la photo, mes acolytes et moi-même encadrons le ténor.
J'ai triché, ceci est le dessert de la veille.
Jour 4 : Aujourd'hui permission accordée
« Soirée libre », indique le programme pour l'unique fois cette semaine. « Ce soir, je ne bois pas et rentre tôt », m'annonce un de mes nouveaux compagnons — étonnant comme on se lie vite dans ces circonstances, et comme quelques jours suffisent à se saluer en vieilles connaissances et à se voir ramener à la pause un café comme on l'aime [1] sans avoir rien demandé. Quelques heures plus tard, nous en sommes à nos troisièmes verres dans le pub irlandais plein à craquer de jeunes chercheurs. « Ça compte pas vraiment, c'est des Russn[2] ! », contre-t-il en bon bavarois.
Mieux qu'une photo de bières : le concert du dimanche, par des musiciens d'un des orchestres les plus réputés au monde.
Jour 5 : Aujourd'hui moment où la nuit tombe
Un orage s'abat sur la terrasse où je discutais avec une des célébrités de la semaine. Nous nous abritons tous dans la salle où se déroule la soirée bavaroise qui sert surtout de dépliant publicitaire pour l'excellence scientifique de la Bavière (Land pas peu fier de lui). Les danseurs qui nous ont présenté plus tôt un ahurissant numéro de Schuhplattler (j'ai gardé mon sérieux par égard au jeune homme en Lederhose assis à mes côtés, avant qu'il n'explose lui-même de rire) sont descendus de scène et je me laisse entraîner dans une polka bavaroise.
Dur de prendre des photos nettes en pleine crise de fou rire.
Jour 6 et final : Aujourd'hui c'est bien une vache
Oui, c'est bien une vache devant laquelle je passe, un peu surprise, sur l'île fleurie ou nous accueille la comtesse. Je me laisse un instant distraire par les ânes à proximité, mais le jeune homme à mes côtés et moi-même avons jeté notre dévolu sur la serre aux papillons et il ne nous reste que peu de temps avant la cérémonie de clôture. Personne ne semble s'offusquer qu'on nous aie payé un aller-retour dans un bateau de luxe pour le programme scientifique du jour : un grand débat sur le futur énergétique de la planète.
Ceci n'est pas une vache et j'ai beaucoup regretté de n'avoir qu'un compact.
366 réels à prise rapide — chaque jour en cent mots, hors notes de bas de page.
Notes
[1] Et si le chemin vers le cœur d'un homme passe par son estomac, celui vers le cœur d'un scientifique passe le plus souvent par la simulation de son système nerveux central.
[2] Weißbier avec de la limonade, appelée Radler dans le reste de l'Allemagne, sauf qu'il paraît que dans le nord on utilise de la Pils.