Je ne m'attendais néanmoins pas à ce que le quartier où je me suis baladée hier, moins touristique et central que celui que j'habite, ait été si vide à l'approche du shabbat. Boutiques fermées, transports en commun interrompus (y compris les trains), quelques rares personnes se hâtant vers une réunion de famille, c'était encore plus désert que ma bonne ville natale un dimanche, et je doutais que cela puisse être possible. C'était très étrange, presque angoissant[1], comme s'il s'était passé quelque chose de très important et que personne ne m'avait prévenue.

Les rues étaient tout aussi désertes ce matin, sauf le boulevard Rotschild, grand lieu de promenade ; le contraste était surprenant au point que j'avais envie d'arrêter les gens et de leur demander par où ils étaient arrivés, puisqu'ils semblaient n'être qu'ici et pas ailleurs. A propos de Rotschild, les noms des rues de Tel Aviv ne cessent de parfaire ma culture, car ils se rapportent tous à l'histoire d'Israël ou à la culture juive, ce qui nous change des inanités américaines. C'est ainsi que j'ai appris, en dehors du nom et du rôle de nombreux hommes politiques, le soutien apporté par le fortement anti-fasciste Toscanini aux musiciens juifs pendant la guerre ; j'ai aussi découvert, en me penchant sur la question, que Léonard de Vinci soi-même est soupçonné d'avoir eu une mère juive, ce qui justifierait je suppose l'existence de sa rue, bien que je trouve ça un peu facile, « oh, un mec génial, forcément, il doit être juif, pas le choix ! ». Je n'ai pas encore vu la rue Albert Einstein mais ne désespère pas de tomber dessus ; selon Google Maps, elle existe.

Les gens commencent à sortir de chez eux le samedi en fin d'après-midi ; ils se mêlent d'ailleurs aux touristes sur les plages, créant ainsi la vision d'horreur qui m'attendait lorsque je me suis rendue sur les bords de la Méditerranée vers dix-huit heures, des plages bondées, des gens entassés les uns sur les autres, un bordel pas croyable, les drapeaux rouges déconseillant la baignade hissés, et je crois même bien avoir entendu parler de méduses autour de moi... je me suis bien vite trissée, abandonnant aussi sec mes projets de trempette.

Par ailleurs, j'ai désormais mon visa définitif avec entrées multiples, me permettant donc d'aller faire un tour du côté de la Jordanie et de revenir après ; mais la saga n'est pas terminée, car le visa expire avec le dernier jour de mon stage et l'avocat qui s'occupe de ces histoires m'a expliqué en se tordant les mains qu'il allait falloir encore faire je ne sais quels moulinets de bras pour obtenir que j'aie le droit de rester une semaine de plus dans le pays au lieu de devoir prendre un avion le soir même, ce qui confirme mon impression première qu'en dehors du fait qu'ils ne prennent pas les empreintes digitales[2], ils sont quand même encore plus chiants que les Américains. On m'a d'ailleurs conseillé de me procurer une lettre de ma chef avant de partir pour confirmer mes activités estivales, afin de mettre toutes les chances de pouvoir quitter le pays en septembre de mon côté. Alors, oui, certes, c'est un pays en guerre ; « Ah, oui, je me souviens, il y a trois ans quand il y avait ces ennuis avec les Libanais on s'était réfugiés ici », m'a dit un collègue d'un ton badin en découvrant mon espace de travail à Haïfa, installé dans un abri anti-guerre ; mais flûte, je suis une douce et innocente jeune fille, moi ! (Comment ça ça ne se voit pas ?)

Notes

[1] eerie est le mot qui me vient à l'esprit

[2] un moment toujours très douloureux pour moi, car j'ai des empreintes invisibles