Le Grand Mardi Géant
Les Américains ne font rien comme tout le monde les Français, c'est bien connu, et par conséquent n'élisent pas leur président au suffrage universel direct. De toute façon, que peut-on espérer de gens qui pour qui montrer trois doigts, ce n'est pas montre pouce-index-majeur mais index-majeur-annulaire, je me le demande. Pas grand chose, je pense. Il en découle un processus électoral dont les subtilités sont beaucoup plus nombreuses que celles du football américain et les enjeux, hélas, beaucoup plus importants à mes yeux, et que j'aurais du mal à récapituler en une phrase aussi claire et tranchante qu'inexacte comme je le fis pour le jeu sus-nommé dans le billet précédent.
Mais je vais néanmoins m'efforcer de faire le point sur la situation, car pour la première fois de mon existence toute entière, je suis tendue comme un arc dans l'attente des résultats d'élections qui ne sont pas françaises (ce qui prouve probablement que je commence lentement à m'intégrer dans ce pays de dingues, ou alors qu'on aime bien parler de politique avec mes collègues), et que si je continue de rafraichir en alternance la page commodément mise à la disposition du public par Google Maps et celle du New York Times alors que la Californie n'a même pas fini de voter, je vais tuer ma touche F5 et ça sera bien dommage.
(Attention, y a plein de nombres dans ce qui suit. Et c'est long.)
Avant de me lancer dans des choses compliquées qui font mal aux synapses, j'aimerais signaler que le 5 février est aussi l'anniversaire de Thomas et la Sainte-Agathe, fête que je m'approprie en l'honneur de la deuxième partie de mon vrai prénom composé et parce que la Sainte-Chloé n'existe pas (on se demande bien pourquoi). Et au passage, oui, Sainte-Agathe, c'est bien celle dont le martyre consistait en se faire trancher les seins (et qui est généralement représentés sur les tableaux d'époque portant ses seins sur un plateau, ce qui est d'un bon goût sans nom).
Allez, zou, les élections présidentielles américaines.
Dans les grandes lignes, donc, le principe est le suivant : le Président (et le Vice-Président qui va avec) sont élus par un collège électoral (Electoral College), qui est constitué de grands électeurs (Presidential Electors). Chaque État a un certain nombre de grands électeurs, indirectement déterminé en fonction de sa taille et directement donné par son nombre de représentants au Congrès (ce qu'on pourrait appeler des députés, sauf que non) augmenté de deux (sénateurs), ce qui donne 55 pour la Californie et 4 pour Rhodes Island et mis tout ensemble nous fait un total de 538 (ce qui accorde plus de 10% du vote à la seule Californie). Les grands électeurs votent le lundi qui suit le second mercredi de décembre (quelle que soit la position de Mercure), soit donc cette année le 15 décembre.
Les grands électeurs sont élus par le bon peuple le mardi qui suit le premier lundi de novembre (mais sans tenir en compte les phases lunaires), soit donc cette année le 4 décembre novembre, qui s'appelle Election Day (le bien nommé). Le bulletin de vote porte le nom d'un des candidats à la présidentielle, mais permet en fait d'élire un groupe (slate) de grands électeurs supposé voter pour ledit candidat. Pour la plupart des États, le slate qui reçoit le plus de voix est celui qui sera envoyé voter mi-décembre (l'État du Maine et celui du Nebraska ont une procédure un peu comme une proportionnelle, mais pas exactement, qui permet d'envoyer un certain nombre d'électeurs de chaque slate). De temps en temps certains des grands électeurs ne votent pas pour le candidat pour lequel ils ont été choisis pour voter, mais ils ont le droit, on les appelle des faithless electors (et non pas des autobus).
J'espère que vous n'êtes ni morts d'ennuis ni complètement dépassés par mes explications obscures.
Bon.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué (toi aussi, relève le plus grand nombre possible d'allusions aux Shadocks dans ce texte, et instruis-toi en te distraisant, treize ans et demi maximum, ah non, ça c'était Boby Lapointe je suis désolée) ? Pour le plaisir de se retrouver avec de joyeuses situations ou les Américains votent majoritairement pour Al Gore mais c'est le grand GiBi qui est élu, voilà pourquoi.
Bref.
Afin de concentrer leurs efforts sur un seul candidat, les deux grands partis du pays[1], à savoir les Démocrates (bleus) et les Républicains (rouges) (quand je disais qu'ils sont pas foutus de faire comme en France) organisent de joyeuses conventions nationales (une par parti, hein, faut pas déconner non plus), qui se tiennent vers la fin de l'été, du 25 au 28 août pour les Démocrates et du 1er au 4 septembre pour les Républicains cette année. Lors de ces conventions, on présente un vrai programme définitif, et un candidat unique (ainsi qu'un vice-président à lui accoler) est désigné pour chacun des partis. Ce candidat est désigné par des délégués (delegates) et des délégués non-engagés (unpledged delegates). Les délégués non-engagés sont des membres importants du parti (les Démocrates les appellent les super-délégués (superdelegates), et non pas des casseroles).
Les délégués engagés, eux, sont choisis lors de primaires ou de caucus organisés dans chaque État. Une primaire, c'est tout simplement un bête vote à bulletin secret, un caucus, c'est un bête vote à main levée. Ces pré-élections s'étalent de début janvier (rappelez-vous de l'Iowa le 3 janvier) à début juin, et culminent lors du Super Tuesday, un mardi (comme son nom l'indique) de février ou de mars pendant lequel un grand nombre d'États organisent leurs primaires le même jour. Cette année, c'est fête, et alors que le super mardi était prévu le 4 mars, 24 États se sont dit, tiens, faisons ça le 5 février, et créons un Super Duper Tuesday (un super mardi de la mort qui tue, en gros).
J'en profite pour préciser que les États cherchent à attirer l'attention sur eux, soit en se regroupant, soit en tenant primaires ou caucus le plus tôt possible, afin d'avoir l'air de peser dans la balance. Autant dire que le jour où les résidents du Maine vont voter pour désigner leurs quelques délégués qui conduiront au nombre faramineux de 4 grands électeurs, l'excitation ne sera pas à son comble.
Et au passage, selon les États, il est nécessaire ou non d'être inscrit au parti pour pouvoir prendre part aux primaires - ce qui signifie que théoriquement, des Démocrates peuvent aller foutre le bordel en votant pour un guignol lors des primaires Républicaines et inversement.
Les délégués, donc, s'engagent sur le choix d'un candidat (d'où l'appellation, par opposition, des délégués non-engagés), ce qui explique l'intérêt des primaires. Il ne faut cependant pas oublier de jeter dans la balance quelques poignées de super-délégués, ni le fait que, si chez les Démocrates, les délégués sont alloués à la proportionnelle dans la plupart des États, il est plus fréquent chez les Républicains que l'ensemble des délégués aillent au candidat pour lequel une majorité d'électeurs se sont prononcés. Une explication assez bien ficelée des enjeux du jour se trouve dans le New York Times pour ceux qui auraient le courage d'aller lire (et en anglais) plus de détails.
Aujourd'hui, donc, les électeurs des États suivants : Alabama, Alaska, Arkansas, Arizona, Californie, Colorado, Connecticut, Delaware, Georgie, Illinois, Massachusetts, Minnesota, Missouri, New Jersey, New York, Dakota du Nord, Oklahoma, Tennessee, et Utah se prononc(ai)ent lors des primaires Démocrates et Républicaines. Les primaires Démocrates se tiennent/tenaient au Kansas, en Idaho, au Nouveau Mexique, dans les Iles Samoa (ne rentrons pas dans le détails du statut des Iles Samoa maintenant, par pitié) et chez les Democrats Abroad (pour permettre aux expatriés de voter), et les primaires Républicaines se tenaient dans le Montana ainsi qu'en Virginie Occidentale (où les gens ont choisi sans honte Mike Huckabee, le mec qui en plus d'avoir un nom ridicule affirme haut et fort croire en chaque mot de la Bible et devrait donc être instamment disqualifié pour troubles de la santé mentale).
En conclusion ? On n'a pas fini de pomper chez les Shadocks.
Et au cas où vous vous le demanderiez, je réserve ma sympathie pour Barak Obama, pour des raisons assez similaires à celles exposées par Edward M. Kennedy, sénateur et frère de, dont vous pouvez lire une traduction dans Le Monde, ou celles du gars de xkcd, et aussi parce qu'Hillary Clinton ne me revient pas, et que je ne vais pas m'amuser à aller choisir ailleurs que chez les Démocrates.
Notes
[1] Cette année se présentent aussi les partis suivants : le Parti de la Constitution, les écologistes, les libertaires, le Parti de la Prohibition (oui vous avez bien lu), le Parti Communiste, appelé Socialiste, le Parti des Travailleurs Communistes (toujours appelé Socialistes par les Américains qui ne font jamais comme tout le monde), qui n'a pas de site web mais un journal, le parti Unity08 qui, si je comprends bien, est une espèce de machin à la Bayrou visant à transcender les divisions Démocrates-Républicains, et une vingtaine de candidats indépendants.