Se battre pour vivre... et conserver son assurance santé
Parmi les choses qui en plus de m'ahurir m'attristent, il y a le système de santé États-Unien. Un système dans lequel il est extrêmement délicat d'avoir accès à des soins coûteux sans être millionnaire, parce que dans l'un des pays les plus riches du monde, la solidarité est une notion qui a bien du mal à faire son chemin. J'invite le lecteur curieux (et/ou ne reculant pas devant un peu de pathos) à aller (re)lire une histoire triste que je racontais il y a presque deux ans sur le sujet - d'ailleurs, on pourrait pas leur faire parrainer un petit vieux mort du cancer, aussi, aux gamins de CM2 ?
J'ai lu récemment sur le site du LA Times un article qui n'est peut-être pas des mieux tournés sur la question, mais qui m'a semblé suffisamment intéressant pour que je m'essaie à le traduire. Le texte est en-dessous ; les annotations de bas de page sont des NDT ; la traduction est un peu bancale, souvent lourde et parfois inexacte, mais j'ai fait de mon mieux dans un minimum de temps (parce que je n'ai pas que ça à faire non plus, en fait) et si vous êtes si forts que ça, vous n'avez qu'à lire la version anglaise directement.
« Je suis en train de mourir. »
C'étaient les trois premiers mots de l'e-mail que Christine Lilly m'a envoyé.
« Ou du moins c'est ce qu'ils me disent, » continue-t-elle. « mais ne le sommes-nous pas tous ? »
Quand je lui rends visite, Lilly est allongée au bout d'une longue rangée de lits de chimiothérapie à la clinique médicale de l'UCLA[1] à Santa Monica. Dix patients sont assis à des fenêtres, les remèdes s'écoulant dans leurs corps pendant qu'ils observent la vie agitée du Santa Monica Boulevard.
Lilly, une ancienne institutrice au beau milieu de sa quatrième bataille depuis 2004 contre un cancer du sein inflammatoire, participe à un essai clinique. A 57 ans, elle n'est pas prête à fermer les yeux et s'en aller tranquillement, même si cela signifie qu'elle doit passer la moitié de chacune de ses journées à se battre pour une assurance santé.
« Je ne peux pas le croire », disait dans cet e-mail la résidente de Westchester. Elle y parlait du coût élevé de rester en vie. « Je me sens déjà très coupable de la situation financière dans laquelle j'ai placé ma famille. »
Sa numération de globules blancs est trop basse pour lui permettre de supporter une dose élevée de médicaments le jour où je lui rends visite, de sorte qu'elle a fini son traitement avant que son fils ne vienne la chercher. Elle s'est débarrassée de sa propre voiture dans le cadre des économies qu'elle a dû faire pour pouvoir payer l'assurance COBRA[2], qui lui coûte $500/mois.
Lilly sait qu'elle a plus de chance que nombre de gens. Elle, au moins, a une assurance. Et elle est satisfaite des soins qu'elle a reçu. Mais elle est fatiguée de gâcher une énergie précieuse à essayer de comprendre les abrutissantes bizarreries de Medicare[3], des assurances privées, des allocations d'invalidité, du COBRA étatique, du COBRA fédéral, etcætera, etcætera, etcætera.
Elle a continué d'enseigner en cours élémentaire aussi longtemps qu'elle l'a pu dans une école primaire de Los Angeles, mais a finalement dû abandonner une carrière interrompue au cours des ans par la naissance de quatre enfants et les mutations de son mari. La couverture du COBRA fédéral se termine à la fin du mois, dit-elle, et elle essaie d'obtenir une extension à travers L.A. Unified[4].
Si cela ne marche pas, elle fera une demande pour une extension de 18 mois du COBRA étatique. Mais cette solution lui reviendrait à $800 par mois, dit-elle, et n'inclurait pas les soins dentaires ou ophtalmiques.
« Et j'ai beaucoup de dégâts dentaires à cause du traitement », dit-elle.
Si elle a la chance de survivre encore 18 mois, elle ne sait pas ce qu'elle fera.
« Je ne suis pas assurable, et je suis en phase terminale, bon sang. Même à $800 par mois, nous allons devoir vivre au jour le jour, en essayant d'avoir une vie aussi normale que possible. Mais la normalité est difficile à assurer. »
Le mari de Lilly, un ingénieur aérospatial, a perdu ses indemnités[5] après une fusion d'entreprises. Il a réussi à trouver un autre emploi avec des indemnités qui couvrent et lui et sa femme, mais il est vacataire et peut se retrouver à la porte à tout moment, et Lilly ne peut donc pas prendre le risque de compter sur son assurance à lui pour rester en vie.
« C'est triste de voir les gens faire autant des pieds et des mains », dit James Roh, un étudiant en droit qui travaille au Cancer Legal Resource Center[6] à la faculté de droit de l'Université de Loyola.
Roh, qui a fait de son mieux pour piloter Lilly dans le bourbier du système de santé, dit qu'il est sans cesse stupéfait par les histoires des quelques milliers de malades du cancer qui demandent de l'aide chaque année.
Roh dit qu'il s'est récemment occupé du cas d'un homme qui payait toutes les factures médicales et les primes d'assurances de sa femme par carte de crédit, et dont l'assurance a été annulée immédiatement après qu'il ait dépassé sa limite.
John Barsits, le cancérologue de Lilly, dit que lui aussi en a vu de belles. Il a vu des patients guérir seulement pour découvrir que leur emploi avait été modifié ou supprimé, ou leur assurance santé rejetée, les sanctionnant par « un COBRA onéreux ou des programmes d'assurance de risque aggravé. »
« Le congrès a mis ces mesures en place pour que les gens aient la possibilité d'être couverts, mais ils n'ont pas légiféré sur le prix, donc le coût est astronomique et ensuite l'assurance arrive à terme » dit Barstis. « C'est pour cela que nous avons besoin d'une couverture santé universelle. Je trouve ça écœurant. »
Au sujet de Lilly, il dit : « Elle a dû se battre bec et ongles pour rester en vie, et elle l'a rudement bien fait. »
L'essai clinique auquel elle participe ne la guérira pas, dit Bastis, mais pour l'instant il a grandement affaibli le cancer.
Un traitement de ce genre est excessivement onéreux, a-t-il ajouté, ce qui soulève la question - toujours délicate - de ce qui doit être fait, et à quel coût public, pour garder les gens en vie.
Il est juste de se poser la question dans le cas d'une personne âgée, atteinte d'une condition terminale, et accumulant les factures Medicare, selon Barstis. Mais grâce aux avancées de la médecine, les cancérologues sont capables de prolonger de plusieurs années la vie de leurs patients.
« Parfois vous avez des gens avec des enfants de cinq ans qui veulent se battre pour chaque journée de plus » dit-il.
Ou des gens comme Lilly, qu'il qualifie de « force de la nature », avec une forte volonté de vivre.
Lilly a certains avantages. Les revenus de son mari sont corrects pour le moment, et ils possèdent une propriété qu'ils peuvent vendre s'ils se trouvent forcés de collecter des fonds pour payer les factures médicales.
Mais la question pour nous tous est la suivante :
Quel type de société associe profits obscènes et soins médicaux, fait de l'assurance médicale un luxe, remplace des retraites fiables par des 401(k)[7] risqués et accable ses citoyens travailleurs de doutes et de craintes concernant leur capacité à disposer des moyens de répondre à leurs besoins les plus fondamentaux en vieillissant ? Voilà un sujet auquel penser lors des élections présidentielles de cette année.
Lilly est trop occupée à survivre pour suivre les tenants et les aboutissants des promesses de la campagne électorale au sujet de la réforme du système de santé. Elle croit, tout simplement, que tous devraient avoir accès aux soins dont ils ont besoin.
Elle observe par la fenêtre les écoliers qui jouaient avec suffisamment d'énergie pour rajeunir une ancienne enseignante malade. Un sourire éclaire son visage.
« Je continue de faire du volontariat à l'église », dit-elle, et elle s'occupe d'un ami âgé[8] quand elle peut, joue au beach-volley de temps en temps, et adore voyager. « Je continue aussi de faire du volontariat à l'école. Dieu doit avoir quelque chose pour moi à faire ici-bas. »
Plus elle reste en vie, dit Lilly, et plus elle peut propager le message du traitement préventif. Quand elle a remarqué pour la première fois un changement de couleur de son sein, suivi d'une éruption cutanée, une infirmière lui a dit par téléphone que ça n'avait pas l'air grave. Quand elle a enfin été vue, six semaines plus tard, le cancer était si avancé qu'elle craignait de ne pas durer plus de quelques mois.
« Il fait bon vivre », dit l'enseignante en regardant les enfants faire la course dans la cour de récréation comme s'ils n'allaient jamais s'arrêter.
Notes
[1] Université de Californie à Los Angeles
[2] Consolidated Omnibus Budget Reconciliation Act, une loi qui permet depuis 1986 à certains retraités de continuer de profiter des tarifs de groupes dont ils bénéficiaient quand ils étaient employés
[3] Couverture santé gouvernementale pour les plus démunis
[4] Le système d'école publique du comté de Los Angeles, qui était si je comprends bien son employeur
[5] Liées à son travail, chaque employeur décidant de couvrir ou non et comment ses employés
[6] Centre de ressources légales pour le cancer
[7] plan retraite parrainé par l'employeur - selon la section 401(k) de l'Internal Revenue Code, le code qui règlemente les impôts -, et dans lequel une part du salaire de l'employé est directement versée sur un compte 401(k) et investi. Un des avantages est que cette part est exempte de taxes ; l'inconvénient majeur est que si le placement est mauvais, la retraite s'amaigrit...
[8] ou d'une amie âgée ?