Elle bouge encore !
J'écris une demande de financement pour mon projet postdoctoral.
En un peu moins d'un mois, j'ai entièrement inventé un projet de recherche dans un domaine que je connais à peine (un angle d'attaque des problèmes qui m'intéressent radicalement différent de ce que j'ai étudié jusqu'à présent). J'ai rempli des pages et des pages décrivant les qualités scientifiques et techniques de mes travaux de recherche, expliqué pourquoi une collaboration entre moi et le labo qui m'accueillerait serait la meilleure combinaison possible pour poursuivre le projet en question, qui d'ailleurs est le projet le plus excitant au monde et contribuera sans aucun doute à l'excellence scientifique et la compétitivité de l'Union Européenne sur le plan international, et prétendu avoir déjà fait preuve de grandes capacités de réflexion indépendante et de leadership[1].
J'en suis arrivée au point où j'ai suffisamment défendu ce projet (toute seule face à mon écran d'ordinateur, sauf rares mais encourageants — voire flatteurs — commentaires de Peut-Être-Futur-Chef) pour l'aimer presque d'amour et vouloir le mener à bien. Et le premier qui me parle de syndrome de Stockholm, je le tape.
Il me reste un week-end pour reformuler le tout et justifier l'addition d'un thésard[2] au projet (après avoir passé des heures à expliquer la faisabilité du schmilblick en l'état), Peut-Être-Futur-Chef m'ayant fait savoir que finalement, c'était mieux de me payer mon salaire à partir d'une autre bourse et d'utiliser cette proposition là pour financer quelques broutilles genre ordinateur et voyages... et un thésard. Date limite de dépôt : mardi.
Ah, et lundi, je donne un exposé dans notre séminaire départemental, auquel assistera un des membres de mon comité de thèse (et celui qui me fait peur, avec ça). Un week-end de rêve s'annonce donc, juste ce qu'il me fallait pour ne pas trop me faire regretter de ne pas fêter l'anniversaire du Blondinet dans les vignobles de Temecula avec lui (non, je ne suis pas jalouse de la fille qu'il amène avec lui ; ou plutôt je suis jalouse du fait qu'elle ait, elle, un amoureux (potentiel, à ce stade) pendant que moi, je n'ai personne dans les bras de qui m'endormir ; et vaguement triste à l'idée de ne pas passer le week-end à m'amuser avec un de mes meilleurs amis). Et puis d'après la météo il va pleuvoir sans discontinuer... Que d'occasions de m'auto-apitoyer sur ma propre petite personne ! (Mentionnons pour conclure que je viens de me flanquer un coup de poing sur le nez — ou plus exactement un coup de nez sur le poing — en éternuant.)
Tout ça pour aller passer deux ans dans un pays dont je parle à peine la langue (Ich habe fast alles vergessen) et où mon premier achat (après un lit, et encore) sera probablement une lampe de luminothérapie. Achevez-moi.
P.S. : On me fait savoir que le pays en question est fort joli et adapté aux gens qui ne se déplacent pas exclusivement en voiture et a une gauche qui n'est pas à droite de notre petit président de même que l'accès aux soins pour tous, et que ce sont ce genre de raisons qui me font fuir la Californie. Certes mais, si on ne peut plus râler.
Notes
[1] Non, je ne connais toujours pas le mot français correspondant.
[2] Utilisé ici comme masculin neutre, ou comment que ça s'appelle, bien évidemment. J'aurais pu écrire un(e) thésard(e), mais j'ai bien peur que les éternels débats au sujet de la féminisation des noms et autres pronoms neutres ne me semblent qu'une goutte d'eau négligeable dans l'océan de la cause de l'égalité des sexes. Débat que je subis d'ailleurs aussi en anglais, et il faut bien avouer que zie (hybride de she et he) et hir (hybride de her et his) me hérissent le poil, même utilisés pour parler de ces gens pour le moins pas normaux qui ne sont pas fichus d'avoir une identité sexuelle clairement définie, cette indécence.