Krazy Kitty netweurke à donf
Moi qui aime tant les voyages, j'ai été gâtée la semaine dernière par non pas une mais deux réunions de bon aloi entre académiques.
La première : à Berlin (sept heures de train dans chaque sens), pour fricoter avec quelques six ou sept cent heureux bénéficiaires de la même fondation qui me permet de m'acheter mes yaourts et mes billets d'avion tout en servant la science, tout le monde en costume pour écouter les beaux discours et de la Kanzlerin et du Président de la République Fédérale de Germania.
La deuxième : dans une auberge d'un patelin du Jura souabe à l'interminable nom d'environ une syllabe par habitant, enfermée pendant presque deux jours entiers avec quarante-six collègues, dont quarante biologistes, à présenter des travaux qui ne m'appartiennent pas découverts avec une certaine perplexité dans le train de retour de Berlin.
L'avantage de ne pas s'attendre à grand chose est qu'on ne risque pas d'être déçue et tout s'est donc fort bien passé.
J'ai commencé fort à Berlin en engageant la conversation d'entrée de jeu avec la personne assise à côté de moi dans le bus nous amenant à la première des festivités. Et j'ai tenu bon durant la litanie d'une demi-heure, délivrée en allemand, d'une philosophe russe spécialiste de Kant, très fière de ses enfants, et incapable de se remettre du fait que son mari était obligé de s'occuper d'eux pendant les quelques heures qu'elle allait passer à la réception.
Je l'ai malencontreusement perdue en entrant dans le bâtiment où on nous accueillait, et me suis donc baladée pendant vingt minutes un verre d'eau pétillante à la main à la recherche de quelqu'un à qui parler dans cette foule d'encostardés avant de tomber sur une vieille connaissance tout aussi heureuse que moi de voir une tête familière dans l'assistance.
Assises côte à côte dans un amphithéâtre bondé, nous avons stoïquement encaissé discours sur discours (plus deux présentations sympathiques), ronds-de-jambes à l'intention de la Kanzlerin — fort plus charismatique en personne que les journaux voudraient nous le faire croire, j'ai trouvé —, et deux forts jolies interventions d'un octuor à vent (plus un contrebassiste, mais on ne parle pas du contrebassiste).
Octuor (dont un bien caché) et contrebassiste.
Après quoi il nous a fallu hélas quitter le confort du bel auditorium et nous retrouver livrés à nous-même lors de la réception proprement dite. Par chance personne n'envisagerait de réunir presque sept cent académiciens qui ne se connaissent pas sans amplement les fournir en alcool, et c'est avec toute la contenance que l'on peut soudainement ressentir à être accrochée à un verre de vin comme un naufragé à sa bouée que j'ai commencé à errer dans la foule en me demandant comment j'allais occuper l'heure entière qui restait jusqu'au départ de la première navette. A force de naviguer d'un groupe à l'autre, d'une inconnue désespérée à un inconnu peu amène, j'ai fini par passer à proximité de deux jeunes hommes tout aussi à l'aise que moi, et s'entretenant en anglais (j'étais prête à converser en allemand s'il le fallait mais certainement pas en chinois, italien, russe ou espagnol, idiomes hautement populaires ce soir-là). J'aimerais vous dire que je suis brillamment intervenue dans la conversation, m'avançant la main tenue et le sourire colgate aux lèvres en me présentant, mais en vérité, j'ai pris mon courage à deux mains — tout en restant fermement agrippée à mon verre de vin — et... me suis plantée comme une gourdasse à côté d'eux (il est possible qu'un rictus nerveux ait pu être interprété comme un sourire). Par chance l'un d'entre eux a fini par s'apercevoir de ma présence et, étant doté de capacités d'interaction sociale hors normes universitaires, m'a adressé la parole. A partir de quoi eux et moi ne nous sommes quasiment plus lâchés de la soirée (et je suis fièrement montée la dernière à bord du dernier bus affrété à notre retour vers la sécurité de nos chambres d'hôtel).
Rebelotte le lendemain matin où nous étions reçus par le Président soi-même. Munis des seules informations à leur disposition (« réception » et « code vestimentaire : formel »), les quelques six-cent-cinquante académiciens — et leurs familles — se sont donc présentés sur leur trente-et-un, vestes de costumes, cravates, talons et bas[1] inclus, à... une garden party. Sans ombre. Par 31°C. Deux heures à attraper un coup de soleil, en talons dans l'herbe, pour entendre le même discours que la veille (c'est l'inconvénient de mon niveau d'allemand : ne me permettant pas de comprendre les subtilités, il ramène les discours les plus longs à leur substantifique moelle ce qui leur confère une certaine similarité), même après une sympathique conversation avec un linguiste maltais et en tapant le bout de gras avec un français prof en Allemagne depuis vingt ans et plein de conseils utiles, j'ai trouvé ça un peu trop.
Heureusement qu'une croisière dans Berlin sur la Spree suivait ces réjouissances.
En plein cœur de Berlin. Je te jure.
Après quoi, mes désormais meilleurs amis de la soirée précédente et moi-même avons déclaré qu'on se lavait les mains de ces réceptions à la noix, qu'on avait atteint notre quota de déguisement en pingouin pour l'année, et qu'il était grand temps de s'habiller normalement et d'aller nous balader dans Berlin plutôt que de nous taper un énième dîner guindé. Surtout que bon, sans aucun haut-dignitaire pour nous raconter des banalités, quel intérêt ? Et on a fini par s'allonger dans l'herbe au bord de l'eau dans Berlin Est, quasiment sous un pan de l'East Side Gallery, à discuter de notre passion pour la science, de ce qu'on va bien pouvoir faire de nos vies dans un milieu où il semble impossible d'avoir d'autres amours que celui-là, et de féminisme.
Même pas je me suis levée pour prendre la photo
Ensuite on est allé sur un des « bars de plage » faire exactement la même chose mais sur des chaises longues les pieds dans le sable. Plage complétement touristico-artificielle, mais sur des chaises longues les pieds dans le sable, quoi.
En guise de conclusion : train en gare de Berlin
Tu penses bien qu'après ça j'étais parée pour le Jura souabe. J'ai certes passé la majeure partie de mon temps avec mes collègues informaticiens que je vois déjà tous les jours, mais j'ai quand même réussi à (1) taper sérieusement la discute au directeur de mon département (2) parler de science avec des biologistes qui m'ont complimentée pour l'accessibilité de mon exposé (3) enfin commencer à me rapprocher un peu de ces collaborateurs que je croise chaque semaine en réunion de département sans que nous échangions un mot : rien de tel pour créer des liens qu'une tentative de balade dans le village où nous logions, tournée court par notre incapacité à ne pas sortir dudit village.
Les gars, on est encore sortis...
Autochtone pas particulièrement impressionné par ce déploiement de la fine fleur de la recherche allemande
Pour me remettre, je suis allée passer le week-end à Paris où j'ai catégoriquement refusé de parler avec des inconnus. Quand je pense que je pars en conférence dans une semaine...
Notes
[1] enfin collants, chipote pas veux-tu