Répicatulons
On me faisait remarquer récemment, et à juste titre, que je ne bloguais plus. Ma vie, se demandait-on, serait-elle devenue si morose que je n'aurais plus le moindre billet à en tirer ? Sachant que je réussissais à pondre régulièrement des bêtises à l'époque où je rédigeais ma thèse, période de ma vie qui n'était pas sans rappeler cette célèbre Une de Charlie Hebdo, « Trente ans dans un mur ou la vie d'une brique », il aurait vraiment fallu que je tombe dans l'ennui le plus indescriptible pour que cela soit la raison de mon silence. En y réfléchissant un peu, je crois que la raison de mon silence est simple : j'ai redécouvert qu'il existait une vie ailleurs que de l'autre côté de mon écran d'ordinateur. Un commentaire qui fera rire les moins accros à la technologie et au Ternet d'entre vous, à la vue de mes parfois longues heures de travail derrière ledit écran, et de la fréquence de mes interventions sur Twitter, Facebook, et les blogs des autres gens.
Hors de question cependant de laisser les lieux complètement à l'abandon, et c'est pourquoi je vous propose aujourd'hui, à vous deux lecteurs et demi encore dans les parages grâce à la magie du RSS, un bref (ou pas si bref que ça, je rappelle que je souffre de logorrhée verbale) bilan de mes presque quatre premiers mois de Research Scientist (je ne me lasse pas du titre, scusez-moi) en Germanie du Sud.
Ce que j'ai fait pendant mes vacances quatre premiers mois de postdoc, par Krazy Kitty, (2)6 ans et demi.
(1) Du voyage. Du voyage du voyage du voyage du voyage. Après 5 ans coincée sur le même campus, dont je m'échappais principalement pour des conférences ou des marathons de revoyure d'amis et de famille autour de Noël, agenda de ministre à l'appui, je me suis retrouvée affligée d'une sévère bougeotte. Stuttgart et Paris en mars ; Munich début avril ; mon Sud-Est natal pour Pâques ; Berlin et Vienne en mai ; Stockholm le week-end dernier ; et un magnifique combo Berlin - coin-perdu-du-Jura-Souabe - Paris pour la semaine prochaine.
Hôtel de ville, Munich
(2) Du travaillement. Car non, je ne passe pas mes journées à me tourner les pouces en buvant du thé et en surfant des sites politico-féministes sur le Ternet ; il m'arrive de bosser aussi. J'ai passé environ un mois à galérer un max pour me familiariser avec les sujets d'études de mon groupe de recherche (passer de l'étude de petites molécules à celle de génomes entiers ne coule pas de source), et le reste du temps à jongler entre trois projets. Je m'en sors honorablement, mon premier article avec ce groupe ayant été soumis à publication environ à l'heure à laquelle j'embarquais dans un taxi à l'aéroport de Stockholm (après une magnifique nuit de quatre heures de sommeil et quelques gros coups de gueule), et mon chef ayant suffisamment confiance en ma compréhension des travaux du groupe pour me charger de présenter la moitié d'entre eux à des biologistes (toujours une tâche délicate) lors de notre battue en retraite départementale[1] incessamment sous peu.
Checkpoint Charlie, Berlin
(3) Des relations humaines. Des vraies, hein, pas du « qui on engage qui on engage pas et arrêtez de harceler votre secrétaire après on a des ennuis sur les bras ». Bon, pas beaucoup beaucoup, je t'avoue, j'ai généralement la vie sociale d'une huître sur son rocher, mais quand même : je m'entends très bien avec les membres de mon labo (Chef y compris, oui, oui, tout est possible) et quelques autres personnes de mon institut ; je voyage avec ou rends visite à des tas de gens qui ont le bon goût d'habiter en Europe (ou d'honorer le vieux continent de leur visite) ; et j'ai même un ami local qui ne travaille pas au même endroit que moi (bon, d'accord, il est en postdoc... sur la même bourse que moi... en informatique... grosso modo dans le même domaine... mais il nous arrive de parler de Jackson Pollock ou de Victor Hugo, ne perds pas espoir).
On fait ce qu'on peut. Les gens qui ne bénéficient plus de réductions étudiantes ni de cartes 12-25 sans être eux-même parents d'enfants qui ont encore de longues années pour en profiter sont assez rares dans le coin, ce qui ajouté à ma nature particulièrement engageante et extrovertie limite assez radicalement les possibilités.
Je ne te parle même pas de ma vie sentimentale, Waterloo morne plaine, mais que veux-tu que je te dise, tant que je ne rencontre pas la bonne personne dans le bon pays, j'ai le choix entre pleurer sur mon canapé en m'enfilant des pots de Ben & Jerry comme dans les comédies romantiques hollywoodiennes et me contenter de me débrouiller pour m'éclater en célibataire. Je ne te dis pas que je ne pleure jamais sur mon canapé en compagnie d'un pot de glace, mais j'ai du mal à manger et chialer en même temps, et de toute façon après six mois de chômage l'an dernier, les impôts américains, et les frais avancés pour une conférence, Ben & Jerry ne rentrent tout simplement pas dans mon budget.
Stephansdom, Vienne
(4) De la danse. Pas beaucoup, bien trop peu. Mais il y a près de chez moi un club de swing qui se réunit tous les jeudis soirs (saufs jours fériés, vacances, et autres événements réduisant un peu trop sévèrement la taille du groupe, pourtant largement composé de cinq couples plus moi-même) et que j'arrive généralement à rejoindre deux-trois fois par mois (bon, pour juin, par exemple, entre mes voyages, la visite — professionnelle, attation — d'une amie, et les jours fériés, c'est mort).
Stockholm (sans pluie)
(5) De la germanisation. Je suis capable de tenir une conversation de dix minutes sur les asperges, auf Deutsch je te prie, au-delà de quoi ce n'est pas mon allemand qui me fait défaut mais ma santé mentale. Je deviens une experte du recyclage, jetant les bons trucs dans la bonne poubelle sans même y penser[2]. Je ne m'étonne plus de voir mes collègues changer de chaussures au boulot, voire se balader pieds nus dans le couloir. Et je ne sais pas encore quelle influence scientifique Chef a sur moi, mais je lui dois indéniablement de boire de plus en plus souvent du Johannisbeerschorle (jus de cassis dilué à l'eau pétillante — oui je sais c'est une idée bizarre).
Stockholm (sous une pluie battante)
Notes
[1] Comment tu traduis department retreat, toi ? Parce que « séminaire d'entreprise », ça le fait pas trop quand il ne s'agit justement pas d'une entreprise, et « séminaire départemental » est ennuyeux comme la pluie, en plus d'être le nom que je donne, peut-être à tort, à certains événements du département qui ont lieu sur place.
[2] mais je galère toujours avec les déchets biodégradables — moi je veux bien les jeter dans des sacs en papier, mais les déchets biodégradables ont la désagréable habitude d'être humides voir carrément mouillés ; du coup je me vois forcée d'emballer le tout dans un sac en plastique que je vide dans le bon container avant de le jeter dans la poubelle normale, ce qui ne m'enchante guère.