Guten Tag, Deutschland
Voici plus de deux semaines que je suis installée-pour-de-bon en Germanie-du-Sud et que j'ai commencé à travailler histoire de mériter mon exorbitant salaire mensuel (exorbitant comme deux fois ce que je gagnais en première année de thèse, c'est te dire comme ça rapporte, le doctorat ; exorbitant aussi comme dans quelqu'un s'est mélangé les pinceaux et j'ai été payée deux fois en mars mais je doute que ça dure).
Ne me demande pas ce que je fais comme boulot, je n'en sais rien moi-même — l'avantage de m'être catapultée dans un domaine d'application dont je ne connais quasiment rien et de fourrer mon nez dans les projets de tout le monde tout en essayant de faire vivre celui que j'ai décrit un peu au pif pour la fondation qui me paye mes yaourts quotidiens. Je m'y plais cependant, appréciant tout autant les grandes fenêtres de mon bureau (que je partage essentiellement avec des gens qui ne sont jamais là) que les conversations scientifiques, tableau blanc à l'appui, qui commençaient à me manquer.
Mais parlons donc de la Germanie. C'est comment, la Germanie ? Les Allemands se conforment-ils aux idées préconçues que nous avons à leur sujet ?
Les Allemands mangent du cochon et des patates
Diantre. Oui. Au début tu te dis que ce n'est pas possible, que c'est un stéréotype. Puis tu vas dans un supermarché. Tu te rends compte que les patates se vendent par sac de 10 kilos minimum, et que le rayon « Porc » est différent du rayon « Viande ». Tu manges en cantine étudiante pas chère (comme je l'ai fait en janvier), tout ce qu'on te sert, c'est porc et patates. C'est fou les menus variés que l'on peut créer : saucisse (enfin, Wurst, c'est à dire, Wourcht avec la prononciation locale) purée ; côte de porc salade de pommes de terre ; ragoût de porc et de patates, ad libitum.
En d'autres mots, ça fait deux mois et demi que je fredonne « Le lundi patates, le mardi patates, mercredi y a du rata. Le jeudi patates, vendredi patates, le samedi y a du rata. Et le dimanche, ah quel régal, c'est le repas dominical, alors sans manière, y a des pommes de terre, ah que c'est original », quand je ne maugrée pas « Schwein und Kartoffeln! » comme d'autres « Bah humbug ».
Les Allemands sont grands
Alors là, ça dépend desquels. Mes collègues allemands, par exemple, ne me semblent pas particulièrement gigantesques. Par contre, les nanas du cours de tango auquel j'ai assisté une fois, c'était toutes de grandes bringues filiformes aux jambes interminables qui me faisaient ressembler à un aimable bonhomme Michelin.
Les Allemands sont très ordonnés et respectueux de la loi
Ja wohl. Par exemple, quand tu montes dans le bus avec un ticket, tu es prié de passer par l'arrière pour ne pas te mélanger aux gens qui montent par l'avant pour payer leur titre de transport. Et dans le métro, que ce soit à Stuttgart ou à Munich, y a pas de tourniquet.
Ça ne les empêche pas de conduire comme des malades et de prendre à la lettre les injonctions des panneaux de limitation de vitesse (« avant le panneau 80, je roule à 160 ; arrivé au panneau 80, je pile à fond sur la pédale de frein ; passé le panneau, je roule à 80 ; ben quoi ?»). Et déboîter sans clignoter à 20 cm d'une voiture, je suis pas certaine que ce soit dans le code de la route non plus. (On l'aura compris, je crève de trouille sur les autoroutes allemandes et leurs voies étroites ; pour peu qu'on y rajoute des travaux et je regrette de ne pas être en train de conduire sur un morceau de route tranquille, genre la traversée de Lyon aux heures de pointe.)
Les Allemands sont très ponctuels
C'est généralement vrai. D'un autre côté, essaie d'attendre quelqu'un plus de trois minutes quand il fait -10°C dehors et on verra combien de temps tu tiens avant de décider que l'autre est un gros connard même pas fichu d'être à l'heure. Par ailleurs, quand on te fixe un rendez-vous entre 8h et 14h (merci la compagnie de l'Internet), c'est pas trop dur de tomber dans les heures (tu me diras, en France ou aux Stazunis, si on te dit entre 8h et 14h et le mec passe sur le coup de 17h30, comme quoi).
Les Allemands ont du mal avec le féminisme
Attends-toi, ami lecteur, à de sérieux billets sur le sujet Kirche-Küche-Kinder. Pour l'instant, sache que 16% des professeurs des universités allemandes sont des femmes (contre, si je me souviens bien, 27% en Turquie) et que le mot « Rabenmutter » (« mère corbeau », autrement dit une mère qui abandonne lâchement ses enfants sur le parvis de l'église à la crèche ou aux soins d'une nounou pour reprendre le travail, la salope) est encore tout à fait d'actualité. Autant dire qu'on a pas le cul sorti des ronces.
Au passage, l'institut Max Planck (soit un des instituts de recherche les plus célèbre au monde) a ici une crèche d'entreprise appelée « Planckton » (il s'avère aussi que je kiffe l'humour allemand).
Les Allemands se lèvent avant les poules
Parait-il. Chais pas, moi, je travaille avec des gens qui maugréent que notre séminaire départemental soit à 9h le matin (ça nous apprendra à dépendre d'un département de biologistes, aussi) et je suis encore et toujours la première informaticienne dans les bureaux le matin.
D'un autre côté, je veux bien croire que s'il n'y a pas beaucoup de circulation à 8h15 quand je prends le bus c'est parce que tout le monde est déjà au travail. Je sais pas, moi, je dors.
Les Allemands ne savent pas danser
Hélas. J'attends toujours la preuve du contraire. D'un autre côté, ils sont musiciens, on se console comme on peut. Mais mon club de danse swing me manque comme tu n'as pas idée... pourtant, ils étaient allemands, les Swing Kids (tiens, un extrait du film) ! Qu'est-il advenu d'eux ?
Les Allemands font le tri des déchets
Ach. Ils te donnent même un livret pour que tu saches bien quoi mettre dans quelle poubelle. Y a les sacs jaunes, pour les emballages, ramassés une fois toutes les deux semaines (ce qui explique pourquoi on nous répète depuis longtemps que les Allemands lavent leurs pots de yaourt avant de les recycler ; le yaourt de deux semaines à température ambiante, il faut bien dire que ça embaume). Les poubelles normales et celles de déchets biodégradables sont elles aussi ramassées une fois toutes les deux semaines (une fois par semaine en été), je te laisse imaginer. Les cartons et vieux papiers, une fois toutes les six semaines, mieux vaut ne pas rater ton coup. La veille du jour du ramassage, les sacs de déchets s'amoncèlent dans la rue comme à Marseille une semaine de grève.
Ceci étant, comme je suis maniaque et que j'aime beaucoup que chaque chose soit bien à sa place (l'état de mon séjour, encombré de cartons et de valises à ranger, me désespère, mais d'être maniaque n'empêche pas d'être flemmarde ni d'avoir mieux à faire, comme l'écriture d'une note de blog, la planification de quelques voyages, et la recherche assidue d'un endroit où je puisse un peu danser), le tout ne me trouble pas outre mesure.
La Germanie, c'est bien, mangez-en
Etant entourée de germanophiles enthousiastes, j'avais un peu peur que le pays ne me déçoive. Que nenni. Pour l'instant, je suis ra-vie.
